Pierre Gautier dit Saguingoira, pionnier de Lachine
Louise Pagé
En remontant l’ascendance de mon arrière-grand-mère maternelle Philomène Gauthier, j’ai constaté qu’elle était de la lignée du pionnier Pierre Gauthier dit Saguingoira. Évidemment, ce nom qui est à la fois français et à consonance autochtone a piqué ma curiosité. J’ai découvert à travers les registres religieux et les actes notariés que la vie de cet homme était tout sauf ordinaire. Avec son épouse Charlotte Roussel, il a connu des joies et des succès, mais aussi de grandes épreuves qui l’ont façonné et dont on trouve des traces encore visibles aujourd’hui dans l’arrondissement de Lachine à Montréal.
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Mariage |
Paroisse |
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GAUTIER Pierre dit Saguingoira |
12 novembre 1668 |
Basilique Notre-Dame |
ROUSSEL Charlotte |
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GAUTIER Joseph dit Saguingoira |
8 février 1718 |
Saints-Anges Gardiens Lachine |
FORTIER Marie |
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GAUTIER Jean Baptiste |
13 octobre 1760 |
Pierrefond |
DUFOUR Geneviève |
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GAUTIER Joseph Marie |
19 janvier 1807 |
Saint-Eustache |
VAILLANCOURT dit BENOIT Josephte |
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GAUTHIER Joseph |
1er août 1842 |
Saint-André d’Argenteuil |
FOURNIER Julie |
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GAUTHIER Basile |
14 février 1873 |
Saint-André-Avellin |
LOUISEIZE Denise |
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GAUTHIER Philomène |
24 novembre 1890 |
Saint-André-Avellin |
BROUÉ Jean Cabillot |
Ascendance de Philomène Gauthier (1873-1936) |
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La première apparition de Pierre Gautier en Nouvelle-France se situe lors de son contrat de mariage avec Charlotte Roussel 3 novembre 1668 chez le notaire Basset à Montréal. Charlotte Roussel, Fille du Roy, est arrivée le 3 juillet 1668 sur le navire La Nouvelle France avec un contingent de quatre-vingts jeunes femmes destinées au développement de la colonie. Elle a vingt-deux ans et Pierre, son futur époux, quarante-deux. Fille de Thomas Roussel et de Barbe Poisson, elle est née vers 1646 à la Ronde d’Évreux en Normandie. Pierre, fils de Jacques Ignace Gautier et de Marie Boucher, a vu le jour vers 1629 au bourg d’Eschillais en Saintonge près de La Rochelle. D’après Gilbert Le Bras de la revue L’Échillaisien, il a été impossible de trouver la date exacte de sa naissance.
Le mariage a eu lieu le 12 novembre 1668 à la Basilique Notre-Dame. Un des témoins est Jean Fagueret dit Petitbois, un ami de Pierre, qui prit beaucoup d’importance dans sa vie. Jean est un soldat de la compagnie La Varenne du régiment Carignan-Salières arrivé à Québec le 12 septembre 1665. En 1668, c’est le départ de la cie La Varenne pour la construction de forts sur le Richelieu ; le cantonnement d’hiver a lieu à Montréal. Jean Fagueret s’établit par la suite à Lachine et travaillera avec Pierre Gautier à divers projets.
Le couple Gautier-Roussel s’établit définitivement à Lachine et en 1669, naît Jean leur premier enfant. Joseph suivra en 1672, Jean-Baptiste en 1674, Anne en 1676, Pierre en 1679, Claude en 1681, Marguerite en 1684 et François en 1686. Les deux premiers enfants sont baptisés à la basilique Notre-Dame, tandis que les six autres à la paroisse des Saints-Anges Gardiens de Lachine. Pierre Gautier est alors cultivateur et commerçant en grains et la vie familiale semble se dérouler harmonieusement.
Le surnom de Saguingoira est apparu pour la première fois dans un contrat de terre au lac Saint-Louis par Monsieur de Queylus, prêtre sulpicien, bailleur de fonds de la colonie de Montréal. Le 3 mai 1671, celui-ci nomme Pierre Gautier Saguingoara. Désormais, le nom de Pierre Gautier sera toujours accompagné de ce surnom. L’on ne connaît pas la source de ce sobriquet ; d’après mes recherches, sans en avoir la certitude, Pierre Gautier a peut-être exercé le métier de coureur des bois ou de voyageur dans le but de faire le commerce des fourrures et Saguingoira à la consonance nettement huronne ou iroquoise lui viendrait de sa proximité avec les nombreuses tribus peuplant le territoire de la Nouvelle-France.
Le 27 juillet 1718, l’on retrouve dans un procès cette mention : « L’Iroquoise Kahadonta, 30 ans, fille de Saguingoira comparaît via Jean Baptiste Morrisseau, interprète au procès de Françoise Achin accusée de vente de boissons aux sauvages sans permis.» Kahadonta serait née vers 1688. Qui est-elle ? Elle ne parle pas français. Elle a donc toujours vécu dans sa tribu à Kahnawake.
En 1671, un contrat sur la vente d’une cabane de pieux chez le notaire Basset vient nous éclairer sur les activités de Pierre Gautier. Jean Gervaise et Pierre Gautier vendent cette cabane à Charles LeMoyne et Jacques Leber. Ce même site où fut érigée cette cabane servant de poste de traite deviendra la maison LeBer-LeMoyne, abritant aujourd’hui le musée de Lachine.
En 1675, Pierre Gautier fait une dénonciation en justice de Jean Fagueret dit Petitbois pour avoir blasphémé le nom de Dieu. Petitbois est condamné à 100 livres d’amende.
La nuit du 4 au 5 août 1689, Pierre a alors soixante ans et Charlotte quarante-trois, tout a basculé. Lors du raid iroquois, appelé massacre de Lachine, ils sont enlevés et faits prisonniers. Les enfants sont épargnés, probablement qu’ils étaient à l’abri dans le fort Rémy cette nuit-là, leur sœur Anne et son mari Jacques Denis y résidaient. Jean Fagueret fut tué et l’on a retrouvé ses ossements près du fort à la suite de fouilles cinq ans plus tard.
En 1691, près de deux après la disparition des parents, une rente est constituée par le notaire Jean-Baptiste Pothier à René Cueillerier, le tuteur des enfants mineurs, en faveur des enfants de Pierre Gautier. Dans cet acte, il est dit : « Pierre Gauthier et Charlotte sa femme pris ou tuez par Les Irokouis…». Ce qui laisse croire que les parents peuvent être encore vivants.
En 1698 est rédigé un acte de concession chez le notaire Pothier pour les héritiers de Saguingoira de 60 arpents de terre. Pierre est de retour à Lachine, Charlotte, son épouse est morte en captivité, l’on dit que son cadavre a été retourné à Lachine, mais il n’a pas de trace de sépulture. Après neuf ans de captivité, Pierre est de retour à soixante-dix ans. Comme en témoignent ses activités dans la société, il semble avoir encore bon pied bon œil. En 1699, il est témoin au mariage de son fils Joseph avec Clémence Jarry à la Basilique Notre-Dame. En 1700, il est parmi les habitants de Lachine qui ont autorisé les Sulpiciens à creuser la rivière Saint-Pierre pour faire un canal.
En 1701, son fils aîné Jean se marie à Cascaskias en territoire illinois avec Marie Suzanne CAPIOUÉKOUÉ (Amérindienne illinoise). Les deux sont décédés avant le 18 août 1732. Ils auront cinq enfants qui perpétueront le nom de Gautier Saguingoira en Sakingoara, le patronyme Gautier disparaissant complètement.
L’année 1703 est difficile pour Lachine, une épidémie de variole, la plus mortelle en Nouvelle-France, sévit. Le 10 mars 1703, chez le notaire Adhémar, Gautier Saguingoira partage sa terre de trois arpents de front entre lui et ses enfants. Il garde la moitié et l’autre moitié est divisée entre ses huit enfants.
Le 6 décembre 1703 est une journée mémorable, c’est le décès et l’inhumation de Pierre Gauthier Saguingoira. Il avait soixante-quatorze ans.
Que retenir de Pierre Gautier, ce pionnier de Lachine ?
Des traits de caractère hors du commun, il a su survivre à la captivité, assurer un juste partage de ses biens à son décès et participer au développement de Lachine, tout en respectant ses valeurs morales.
Il a laissé une grande descendance. Le nom Sakingoara a existé pendant longtemps à Kascaskias en Illinois par la descendance de son fils Jean.
Une rue de Lachine a été nommée Pierre-Gauthier en hommage à sa contribution dans son développement.
Sur le site de sa cabane de pieux sied maintenant la maison LeBer-LeMoyne qui tient encore debout après trois cents ans. Elle a été rénovée selon les techniques de construction de l’époque et est un bel exemple de conservation du patrimoine. La population peut la visiter et elle abrite le musée de Lachine. Belle réussite comme en témoigne l’image de la maison prise par le photographe Fotki le 11 mai 2008.

Maison LeBer-LeMoyne, Lachine
Bibliographie
Boily, Maxime. Les terres amérindiennes dans le régime seigneurial : les modèles fonciers des missions sédentaires en Nouvelle-France. Mémoire de maîtrise, Université Laval, 2006.
Collection Drouin, Basilique Notre-Dame de Montréal et Paroisse Saints-Anges-Gardiens, Lachine.
Gauthier, Alphonse, csv. « Pierre Gauthier dit Saguingoira : un tout premier pionnier de Lachine ». Revue Mémoires, Société généalogique canadienne-française, No 4, cahier 16, juin 1951.
Girouard, Désiré. Anciens forts de Lachine et Cavelier de La Salle. Société historique de Montréal, 58 pages, 1891.
Fonds Juridiction royale de Montréal. TL4, S1, D133, BAnQ.
Lamarche, Hélène. « Les habitants de Lachine et le massacre de 1689. Revue Mémoires de la Société généalogique canadienne-française, vol. 50, no 3 (1999), p. 189-228.
Le Bras, Gilbert. « Nos cousins d’ailleurs (Pierre et Jean Gautier)» . Revue L’Échillaisien. Juin 2016. France.
Morrisey, Robert Michael. « Kaskaskia Social Network: Kinship and Assimilation in the French-Illinois Borderlands, 1695–1735 », The William and Mary Quarterly, Vol. 70, No. 1, 2013.
Notaires : Basset, Maugue, Bourgine, Adhémar et Pottier, Greffes de notaire consultées sur BAnQ et la Société généalogique canadienne-française pour les transcriptions.
P. Notre-Dame de la Conception, Caskaskias. Premiers registres de l’Église catholique française des États-Unis 1675 à 1834.
Robichaud, Léon et Alan Stewart. Étude historique de la maison LeBer-LeMoyne. Montréal : Remparts, mars 1999.


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