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À propos de Máire, ou Marie…

Vicki Onufriu

Société de généalogie et d'histoire de Saint-Eustache

Je vous écris d'Irlande. J’effectue un voyage qui est à la fois un voyage de recherche, un pèlerinage et un retour aux sources. J’ai plusieurs projets de recherche en généalogie et en histoire. Celui qui m’amène ici, à Tulach Mhór (la version irlandaise de Tullamore, dans le comté d’Offaly) n’a rien à voir avec ma généalogie personnelle, mais il y a quand même un lien. Mon arrière-arrière-grand-mère est partie de ce pays, il y a 178 ans. Elle n’y est jamais revenue. 

Marie (ou Máire?) Harvey dite Boudreault serait née, quelque part en Irlande, entre 1842 et 18471. Dans les années suivantes, l’Irlande faisait face à la maladie de la pomme de terre. Celle-ci était causée par un champignon parasite nommé le mildiou, qui a complètement détruit les récoltes de pommes de terre, qui étaient l’aliment principal des Irlandais2. À la suite de cette tragédie, un million d’Irlandais ont émigré, surtout en Australie, aux États-Unis ou au Canada.

D’après l’histoire orale de ma famille, Marie aurait traversé l’Atlantique entre 1847 et 1849 sur un coffin ship, un rafiot de marchandise qui servait à transporter des humains et à ramener du bois. Mais ces humains-là étaient traités comme de la marchandise, entassée à fond de cale. Toujours selon l’histoire familiale, Marie aurait fait le voyage avec un oncle, et un frère ou sœur plus jeune qu’elle. L’oncle est mort en mer, et le bébé est mort en quarantaine à Grosse-Île, le lieu où les immigrants devaient rester en arrivant au Québec. Marie s’est retrouvée seule au monde.

Dortoir des malades au Lieu historique national de la Grosse-Île-et-le-Mémorial-des-Irlandais. Crédit  Vicki Onufriu - 10 août 2024
Prise par Vicki Onufriu le 10 août 2024, dortoir des malades au Lieu historique national de la Grosse-Île-et-le-Mémorial-des-Irlandais.

Avez-vous visité Grosse-Île ? Avez-vous ressenti le désespoir que les passagers de tous les coffin ships du monde ont amené ici ? Ce désespoir, il est encore présent dans les dortoirs des gens malades, quand ils dormaient collés les uns contre les autres, sur des lits d’une dizaine de mètres de long, qui étaient superposés aussi. Quand l’hygiène n’existe plus, quand les virus et les microbes se propagent, quand les voisins de lit, de côté et du dessus, évacuent bien plus que leur misère… Quand on est à bout, quand on n’y peut rien, quand on est à deux doigts d’en mourir. Marie, elle, y a survécu. Elle n’avait pas cinq ans.

Marie a fini par être adoptée. C’est Vital Boudreault, de L’Isle-aux-Coudres, qui est devenu son père adoptif. Il est décédé en 1866, âgé de 83 ans3. Puis, Marie est ensuite recensée comme résidente chez la famille de Pierre Leclaire, cultivateur, au recensement de 18714. Trois ans plus tard, à environ 27 ans, elle épouse mon arrière-arrière-grand-père, Louis Dallaire. Ils ont signé un contrat de mariage devant le notaire Joseph Perron, en date du 10 janvier 18745

Le mariage aura lieu à l’église de Saint-Louis-de-l'Isle-aux-Coudres deux semaines plus tard. Le curé a écrit : « Le vingt sept janvier mil huit cent soixante et quatorze, après la publication de trois bans de mariage faite aux prônes de nos messes paroissiales entre Louis Dallaire cultivateur, fils majeur de feu Célestin Dallaire cultivateur et Marie Louise Mailloux de cette paroisse d’une part; et Marie Hervey dite Boudrault fille majeure née du légitime mariage de parents Irllandais [sic] dont on ignore les noms, ne s’étant découvert aucun empêchement a ce mariage, nous prêtre curé soussigné, avons reçu leur mutuel consentement de mariage et leur avons donné la bénédiction nuptiale […]»6.

Marie Harvey dite Boudreault a enfanté cinq fois. Seulement trois enfants ont vécu jusqu’à l’âge adulte. Marie-Louise, née le 12 décembre 18767, Louis-Philippe, mon arrière-grand-père, est né le 3 octobre 18808, et Napoléon, le 25 novembre 18839. Les autres enfants sont Joseph Philippe Dallaire né le 9 août 1879 et décédé le 17 octobre suivant10 et Joseph Alfred est né le 2 mai 1888 et décédé le 17 octobre 189011.

Le mari de Marie, Louis Dallaire, mourra jeune lui aussi : en 1897, à 47 ans12. Marie est restée avec sa famille à L’Île-aux-Coudres encore une dizaine d’années. La famille Dallaire déménagea au Lac-Saint-Jean au cours de ces années. Lorsqu’il s’est marié en 1907, son fils Louis-Philippe est cité comme résident de Saint-Félicien. Il s’est marié avec Azilda Bouchard, une jeune veuve qui avait eu deux enfants avec son premier mari, Edouard Bouchard. En fait, Louis-Philippe et Edouard avaient rivalisé pour obtenir sa main en 1903, et Azilda avait choisi Edouard. Peut-être trouvait-elle que Louis-Philippe, à six pieds cinq pouces, était trop grand pour elle, qui faisait à peine quatre pieds dix pouces ? Plus tard, durant leur vie commune, l’anecdote familiale dira qu’elle refusait de marcher côte à côte avec lui, embarrassée de leur différence de taille…

Toujours est-il qu’Edouard, le premier mari, mourra noyé en 1906 lors d’un accident, en faisant de la drave à La Tuque13. Azilda épousa Louis-Philippe en deuxièmes noces, l’année suivante, à Saint-Louis-de-l’Île-aux-Coudres14. Louis-Philippe et Azilda eurent neuf enfants entre 1908 et 1925, dont mon grand-père Armand en 1914. 

Marie-Louise, la seule fille de Marie, a épousé François Bernard Audet dit Lapointe à Saint-Louis-de-l’Île-aux-Coudres le 24 janvier 189915. Ils eurent sept enfants entre 1899 et 1909. Quant à Napoléon, il épousa Emma Gauthier à Saint-Félicien le 18 juillet 191516. Ils eurent cinq enfants ensemble.

Je n’ai que peu de détails sur la suite; Marie mourra le 25 août 1921 à Saint-Félicien17. Ironiquement, ce fut l’année de l’obtention de l’indépendance de l’Irlande, le pays qui l’a vue naître. Marie est décédée avant la signature du Traité anglo-irlandais du 6 décembre 1921 qui donna naissance à l’état libre d’Irlande. Je ne sais donc pas si Marie était au courant de la situation politique de son pays d’origine, et si oui, si elle avait une opinion sur le sujet.

Quand Marie est décédée, elle a été inhumée dans le cimetière de Saint-Félicien. Aujourd’hui, sa pierre tombale a disparu; sa sépulture est introuvable. Son histoire est demeurée méconnue de ma famille jusqu’à ce que Maman et moi décidions d’entreprendre des recherches généalogiques sur notre famille à l’an 2000. Ce fut le choc lorsque nous avons découvert que la mère du père du père de ma mère était irlandaise. Maman pense que ce fut caché, oublié, stigmatisé par sa famille paternelle. Être Irlandais, ce n’était pas valorisé à l’époque dans la région. Maman a découvert des informations sur Marie par ses cousins qui étaient davantage au courant de son histoire, et avec qui elle avait repris contact dans la foulée de nos recherches généalogiques.

De nos jours, la situation semble complètement différente. On peut constater qu’au Québec, en général, on est fiers de revendiquer ses origines ethniques, quelles qu’elles soient. Ce n’est pas différent dans ma famille. Nous célébrons la Saint-Patrick avec fierté, et ressentons un sentiment d’appartenance avec la communauté irlandaise tout autant que la communauté québécoise francophone, et dans mon cas, avec la communauté hellénique de mon côté paternel.

Chaque communauté, les miennes et celles des autres ont contribué à l’histoire de notre pays, en y ajoutant leur histoire et leur perspective. Chacune a été portée par les histoires individuelles de ses membres. Mais l’histoire vécue par mon ancêtre Marie n’est pas unique; elle a été vécue par plusieurs immigrantes réfugiées au Québec durant la famine irlandaise. Ce qui est exceptionnel, c’est que son vécu a pu être redécouvert en partie par notre famille, et qu’elle puisse ainsi revivre dans notre cœur et notre esprit.

 


1.  Nous ne connaissons pas le patronyme exact de Marie. Elle n’avait aucun papier d’identité en sa possession à son arrivée au Québec. Il semble que les agents d’immigration lui aient demandé son nom, et qu’elle aurait répondu quelque chose qui ressemblait à « Marie Harvey ». Nous n’avons trouvé aucune correspondance avec ce nom pour remonter plus loin dans le temps en Irlande. Tous les recensements et archives subséquents la désignent comme étant Marie Harvey / Harvay dite Boudreault. Nous ne connaissons ni sa date de naissance ni son lieu de naissance exact en Irlande. J’indique ici tous les liens pour chacun des recensements canadiens.

Je ne les ai pas trouvés au recensement de 1911.

2.  Selon le Répertoire du patrimoine culturel du Québec, les Irlandais consommaient en moyenne deux kilogrammes de pommes de terre chaque jour. Répertoire du patrimoine culturel du Québec, https://www.patrimoine-culturel.gouv.qc.ca/rpcq/detail.do?methode=consulter&id=24973&type=pge. Consulté le 26 septembre 2025.

3Familysearch, sépulture de Vital Boudreault, le 29 septembre 1866, paroisse Saint-Louis-de-l'Isle-aux-Coudres, Charlevoix, Québec, Canada, folio 162r. https://www.familysearch.org/ark:/61903/3:1:3QSQ-G99Q-39DJ-V?wc=HZMD-7M9%3A21622301%2C21622302%2C21622303%26cc%3D1321742&cc=1321742&lang=fr&i=171. Consulté le 26 septembre 2025.

4Recensement du Canada de 1871, op.cit. Consulté le 26 septembre 2025.

5. BAnQ, Contrat de mariage de Louis Dallaire et Marie Harvey dite Boudreault, Notaire Joseph Perron 1859-1898, Archives nationales à Québec, Fonds Cour supérieure. District judiciaire de Saguenay. Greffes de notaires CN - 03Q,CN304,S24, pages 92 à 95. https://numerique.banq.qc.ca/patrimoine/details/52327/3776327?docref=LyexkcuaQSqEKgs1D5fQ-g. Consulté le 26 septembre 2025.

6Familysearch, Mariage de Louis Dallaire et Marie Hervey dite Boudrault, 27 janvier 1874, paroisse Saint-Louis-de-l'Isle-aux-Coudres, Charlevoix, Québec, Canada, folio 28v. https://www.familysearch.org/ark:/61903/3:1:3QS7-L99Q-39DD-5?wc=HZMD-7M9%3A21622301%2C21622302%2C21622303%26cc%3D1321742&cc=1321742&lang=fr&i=237. Consulté le 26 septembre 2025.

7. Familysearch, naissance et baptême de Marie Louise Rosine Dallaire, 12 décembre 1876, paroisse Saint-Louis-de-l'Isle-aux-Coudres, Charlevoix, Québec, Canada, folio 51r. https://www.familysearch.org/ark:/61903/3:1:3QSQ-G99Q-39D8-L?wc=HZMD-7M9%3A21622301%2C21622302%2C21622303%26cc%3D1321742&cc=1321742&lang=fr&i=259. Consulté le 26 septembre 2025.

8Familysearch, naissance et baptême de Louis-Philippe Dallaire, 3 octobre 1880, paroisse Saint-Louis-de-l'Isle-aux-Coudres, Charlevoix, Québec, Canada, folio 7v. https://www.familysearch.org/ark:/61903/3:1:3QS7-L993-W9YP?wc=HC8Y-C68%3A21622301%2C21622302%2C13626703%26cc%3D1321742&lang=fr&i=77&cc=1321742. Consulté le 26 septembre 2025.

9Familysearch, naissance et baptême de Napoléon Dallaire, 25 novembre 1883, paroisse Saint-Louis-de-l'Isle-aux-Coudres, Charlevoix, Québec, Canada, folio 9r. https://www.familysearch.org/ark:/61903/3:1:3QS7-8993-W9NX?wc=HC8Y-C68%3A21622301%2C21622302%2C13626703%26cc%3D1321742&lang=fr&i=138&cc=1321742. Consulté le 26 septembre 2025.

10. Familysearch, naissance de Joseph Philippe Dallaire, 9 août 1879, paroisse Saint-Louis-de-l'Isle-aux-Coudres, Charlevoix, Québec, Canada, folio 8r. Il est décédé le 17 octobre suivant. https://www.familysearch.org/ark:/61903/3:1:3QS7-8993-W9Y8?wc=HC8Y-C68%3A21622301%2C21622302%2C13626703%26cc%3D1321742&lang=fr&i=59&cc=1321742. Consulté le 26 septembre 2025.

11Familysearch, naissance de Joseph Alfred Dallaire, 2 mai 1888 (enregistré le 6 mai), paroisse Saint-Louis-de-l'Isle-aux-Coudres, Charlevoix, Québec, Canada, folio 3v. https://www.familysearch.org/ark:/61903/3:1:3QSQ-G993-W9VV?wc=HC8Y-C68%3A21622301%2C21622302%2C13626703%26cc%3D1321742&cc=1321742&lang=fr&i=235 et sépulture de Joseph Alfred Dallaire, le 18 octobre 1890, paroisse Saint-Louis-de-L'Isle-aux-Coudres, Charlevoix, Québec, Canada, folio 10r. https://www.familysearch.org/ark:/61903/3:1:3QS7-L993-W97T?wc=HC8Y-C68%3A21622301%2C21622302%2C13626703%26cc%3D1321742&cc=1321742&lang=fr&i=286.

12Familysearch, sépulture de Louis Dallaire, le 21 avril 1897, paroisse Saint-Louis-de-l'Isle-aux-Coudres, Charlevoix, Québec, Canada, folio 5v. https://www.familysearch.org/ark:/61903/3:1:3QS7-L993-W995?wc=HC8Y-C68%3A21622301%2C21622302%2C13626703%26cc%3D1321742&cc=1321742&lang=fr&i=431.
Consulté le 26 septembre 2025.

13. BAnQ, sépulture d’Edouard Bouchard, le 19 août 1906, Registre d’état civil, Saint-Louis-de-l'Île-aux-Coudres, 1750-1921, Archives nationales à Québec, Fonds Cour supérieure. District judiciaire de Saguenay. CN - 03Q,CE304,S2, folio 7v. https://numerique.banq.qc.ca/patrimoine/details/52327/3946142?docref=q5ksD0YyLnvQxM7-0d17ZA. Consulté le 26 septembre 2025. 

14. BAnQ, mariage de Louis-Philippe Dallaire et Azilda Bouchard, le 29 novembre 1907, Registre d’état civil, Saint-Louis-de-l'Île-aux-Coudres, 1750-1921, Archives nationales à Québec, Fonds Cour supérieure. District judiciaire de Saguenay. CN - 03Q,CE304,S2, folio 11v. https://numerique.banq.qc.ca/patrimoine/details/52327/3946144?docref=khTKZ0hg-GH1w3IjWCYL1Q. Consulté le 26 septembre 2025. 

15. BAnQ, mariage de François Lapointe et Marie Louise Dallaire, le 24 janvier 1899, Registre d’état civil, Saint-Louis-de-l'Île-aux-Coudres, 1750-1921, Archives nationales à Québec, Fonds Cour supérieure. District judiciaire de Saguenay. CN - 03Q,CE304,S2, folio 3r. https://numerique.banq.qc.ca/patrimoine/details/52327/3946123?docref=9DS78rndxvDQbyiPPW-BvA. Consulté le 26 septembre 2025.

16. BAnQ, mariage de Napoléon Dallaire et Emma Gauthier, le 18 juillet 1915, Registre d’état civil, Saint-Félicien 1884-1921, Archives nationales à Saguenay, Fonds Cour supérieure. District judiciaire de Roberval. CN - 02C,CE202,S9, folio 29r. https://numerique.banq.qc.ca/patrimoine/details/52327/3987977?docref=vINgc-3MWojB3AzSBlpzNg. Consulté le 27 septembre 2025.

17Ancestry, © 1997-2025 Ancestry.com, Registres d’état civil et registres paroissiaux (Collection Drouin), Québec, Canada, 1621 à 1968, sépulture de Marie Harvey, le 25 août 1921, Saint-Félicien, folio 45v, image d13p_30820043.jpg.
https://www.ancestry.ca/search/collections/1091/records/8249001?tid=&pid=&queryId=6c3cd062-5a5f-453a-b803-9456efbe7f8c&_phsrc=IXS236&_phstart=successSource.
Consulté le 26 septembre 2025.
 

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