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En cette année 2025 qui souligne le 250e anniversaire de notre "indépendance" des Américains, je souhaite dire MERCI à un combattant.

Lettre à mon aïeul paternel

Lucy Wells

Québec, le 24 septembre 2025

Cher aïeul,

Tu es notre arrière-arrière-arrière-grand-père paternel. Depuis des mois et des mois, je cherche à te connaître, te situer et trouver tes origines. Tu résistes, tu fuis, alors je dois après tout ce long chemin et tant d'efforts « jeter la serviette »... mais je n'ai pas dit mon dernier mot !

Tu es le premier à avoir traversé l’Atlantique, « le pionnier » comme on dit en généalogie. Descendant de toi et de ta seconde épouse, il y aura jusqu'à moi cinq générations. Ce n'est pas beaucoup pour les standards « canadiens-français » de généalogie, mais cela représente néanmoins un nombre très appréciable de descendants. 

Tout cela pour te dire que tu n'as pas traversé l'Atlantique pour rien et, en deux siècles et demi, tu as en avant de toi une fertile lignée de Québécois !

Mais qui es-tu ? D'où viens-tu ? Pourquoi as-tu décidé de t'établir chez nous ? Quand ? À quel âge ? Seul ? 

Je crois avoir trouvé réponse aux deux dernières questions, mais malheureusement pas à celles qui nous confirmeraient nos origines...

Tu m'auras donné « beaucoup de fil à retordre », à commencer par l'essentiel, le point de départ, l'ABC de la recherche généalogique, à savoir...TON NOM !!!

Quand tu épouses notre aïeule Angélique Chalou à Québec le 12 octobre 1784, ce qui est ton second mariage, tu te nommes sur l'acte de mariage Nicolas Wells. Tu portes ce même nom à ton décès qui survient à Québec le 9 février 1802. Cependant, quand tu reçois en 1803 de la Couronne britannique des terres situées dans la région de Granby en reconnaissance de services rendus lors du Blocus de Québec (1775-1776, j'y reviens plus loin), tu te nommes… Cornelius Wild(s) !!! Et dans tous les actes notariés postérieurs à ton décès où il sera question de ces terres, les notaires auront pris bien soin d'écrire, en te nommant, Nicolas Wells, alias Cornelius Wild(s) ! Crois-moi, tout un défi pour une généalogiste en herbe comme moi ! Et pour compliquer un peu le tout, tu ne sais pas signer ton nom !

L'Anse-des-Mères. Maurice Cullen. 1904. Collections du MNBAQ
L'Anse-des-Mères. Maurice Cullen. 1904. Collections du MNBAQ
Cornelius/ Nicolas Wells, Angélique Chalou et leurs 2 enfants habitaient L'Anse-des-Mères.

Tu dois bien te demander comment j'ai fait pour repérer cette information... C'est que j'ai aussi découvert que tu avais un frère avec toi en Amérique, nommé George Wild(s). Cette information provient d’un acte de tutelle survenu 3 ans après ton décès en vertu duquel la Cour, à la demande de ta veuve Angélique, nomme comme tuteur des deux jeunes enfants que tu as laissés derrière toi, Nicolas « fils » et Angélique « fille », leur ONCLE PATERNEL GEORGE WILD(S). Cette piste s'est avérée fort utile.

Voici un résumé de mes recherches à ce jour :

  • Tu es probablement né en 1751 ou 1752 si on se fie à ton acte de sépulture. Où ? J'y reviens.

  • Quand es-tu arrivé chez nous ? Je l'ignore, mais probablement pas avant 1770 (18 ans) et au plus tard en 1775, année du « Blocus de Québec » (Guerre d'indépendance américaine). Tu étais alors membre de la « milice britannique », tout comme ton frère George, et vous avez défendu Québec contre les rebelles américains. J'y reviens également.

  • Tu épouses à Québec en 1779 Marie Madeleine Marin. Elle donne naissance à une petite fille le 13 octobre 1780 et décède le 16 octobre, sûrement des suites de l'accouchement. Leur petite fille décédera à son tour le 26 juillet 1781. 

  • Tu te convertis à la religion catholique le 10 octobre 1784 (Acte d'abjuration - Québec). J'ai de bonnes raisons de croire qu'il s'agit bien de toi puisque…

  • ...tu épouses en secondes noces à Québec, deux jours plus tard soit le 12 octobre 1784, notre aïeule Angélique Chalou. Comme tu le sais, à l'époque les mariages inter-religieux étaient fort mal vus, d'où ta « conversion ». Vous aurez deux enfants, Nicolas « fils » (1795) et Angélique « fille » (1800) et tu travailles comme distillateur.

  • En 1802, le 9 février, tu décèdes dans votre maison de l'Anse-des-Mères. Tu es âgé seulement de 50 ans. 

  • En 1803, toi (Cornelius/Nicolas) et George recevez de la Couronne britannique des terres situées dans la région de Granby qui sont octroyées aux soldats de la milice britannique qui ont combattu pendant le « Blocus de Québec » en 1775-1776. 

  • En 1805, la Cour du Banc du Roi reconnaît comme tuteur de vos 2 enfants leur oncle paternel, George Wild(s). Quelques jours plus tard, Angélique épouse en secondes noces un dénommé Olivier Trahan, de qui elle aura deux enfants. Ce mariage, pour des raisons que j'ignore, va mal tourner et il y aura une séparation légale en 1820, fait rare à cette époque. Tu dois sourire un peu...

  • En 1818, c'est le décès de ton frère George, marié à une dénommée Sarah Marshall qui décède peu de temps après son mari. Je n'ai retrouvé aucune information concernant Sarah, ni leur acte de mariage. Un autre mystère...

  • En 1843, le 24 octobre, notre arrière-arrière-arrière-grand-mère, Angélique Chalou, décède à Québec, âgée de 80 ans. 

Je vais donc maintenant aborder la question de tes origines, sans pouvoir malheureusement apporter une conclusion à ce moment-ci. 

À ce stade-ci de mes recherches, il y a quatre hypothèses sur la table, assorties d'une cinquième ! Avant d'aborder celles-ci, je dois pour le bénéfice de ceux et celles qui liront cette lettre introduire ici « le Blocus de Québec » : 

Ce que les historiens appellent « le Blocus de Québec » a lieu en 1775-1776, dans le cadre de la Guerre d'indépendance américaine (1775-1783). Depuis un certain temps, ça brasse plutôt fort chez nos voisins du sud qui en ont assez du régime britannique et qui veulent obtenir leur indépendance. Comme le Québec, tout aussi britannique depuis 1763, est « leur voisin de palier », les rebelles américains aimeraient bien que l'on s'associe à eux dans cette entreprise d’affranchissement de la Couronne britannique. Deux motifs à l’appui : d'une part, faire éventuellement du Québec une 14e colonie américaine et donc renforcer le nouveau pays en devenir et, d'autre part, affaiblir et nuire à l'armée britannique présente au Québec qui représente une menace additionnelle pour les rebelles américains.

Ceux-ci vont d'abord opter pour la voie diplomatique et tenter de convaincre les Québécois de les appuyer dans leurs revendications, démarche qui ne donnera pas de résultats pour des raisons qu'il serait trop long d'expliquer ici. Ne reculant devant rien, ils vont alors opter pour la force et « envahir » le Québec, ce sur deux fronts : celui du lac Champlain conduisant à Montréal et celui du Maine et de la Beauce conduisant à Québec. Ces « American Rebels » arrivent à Québec le 17 septembre 1775 et ils battront en retraite définitivement le 6 mai 1776. Un siège de huit mois !

C’est pendant ce « Blocus de Québec » qu'aura lieu la célèbre « bataille de Québec ». Elle se déroule en pleine tempête de neige le 31 décembre 1775 et elle est remportée par les troupes britanniques. Celles-ci sont assistées par un nombre important de civils qui, sur une base volontaire, vont joindre les rangs d’une « milice canadienne » formée de citoyens canadiens-français ou d'une « milice britannique » formée de citoyens d'origine anglaise, écossaise et irlandaise vivant au Québec. C'est de cette dernière dont George et toi faites partie, sous le commandement du lieutenant-colonel Henry Caldwell.

Pour compléter cette histoire, il faut ajouter ceci : les demandes répétées du gouverneur Carleton adressées à Londres pour obtenir des renforts militaires vont porter fruit. Toutefois ces troupes, quelque 10 000 soldats, ne vont arriver ici qu'au printemps 1776, alors que le conflit tire à sa fin ! De plus, ces troupes sont constituées majoritairement de ressortissants allemands. En effet, George III a dû demander de l'aide à ses cousins allemands, ne parvenant pas à lever une armée à même les jeunes Anglais et écossais de son royaume. Ces jeunes Allemands, dont plus de 1500 vont s'établir au Québec à la fin de la guerre, sont les ancêtres de bon nombre de Québécois/ses, qui l'ignorent totalement ! La « pureté de la race » en prend pour son rhume....

La table est mise, cher aïeul… D'où viens-tu ?

Hypothèse no1

Tu pourrais venir d'Angleterre. Sur la base de données d'Ancestry, il y a deux scénarios possibles, qu'il serait trop long de présenter ici en détail, et aucun d'ailleurs ne présente une certitude. Qui plus est, cette hypothèse ne colle aucunement avec le contenu de ton acte d'abjuration (voir l'hypothèse no. 4 ci-dessous).

Hypothèse no2

Tu pourrais être d'origine écossaise, mais mes recherches n'ont pas été concluantes. Cette hypothèse s'appuie sur le fait que George était presbytérien, ce qui est la religion des Écossais. Il a même signé en 1802 une pétition adressée au gouverneur pour que la ville de Québec soit dotée d'une église presbytérienne. Autre information, toute relative : le parrain de ton fils Nicolas était un Écossais répondant au nom de John McLoughlin, presbytérien également (et gendre de Malcolm Fraser). 

Hypothèse no3

Tu pourrais être d'origine hollandaise. Quand j'interroge la base de données ancestry.ca pour trouver un « Cornelius Wild(s) », on m'amène toujours du côté de la Hollande et j'y trouve une trentaine de tes homonymes. Malheureusement, je dois ensuite consulter un site néerlandais, en langue néerlandaise, et alors je déclare forfait. Cependant, et cette information est fort importante, j'ai découvert qu'à deux reprises, lors de recensements canadiens (1881 et 1901), Isambar Wells, ton petit-fils, déclare être d'« origine hollandaise ». Vu d'aujourd'hui, j'estime que la clé est là et j'ajoute, de un, que FamilySearch nous indique ceci : « Histoire familiale du nom WILDS : surtout porté en Belgique et aux Pays-Bas... », de deux, que la « Reformed Church » dont tu te réclames était largement pratiquée aux Pays-Bas et, de trois, que Cornelius est un prénom commun dans ce pays. 

Hypothèse no4

Tu pourrais être d'origine allemande. J'ai retrouvé en effet au diocèse de Québec un acte d'abjuration (1784) selon lequel un dénommé Nicolas Wells, originaire d'Allemagne, âgé de 32 ans, journalier de son métier, de religion « prétendue réformée », fait profession de la foi catholique. J'ai toutes les raisons de croire que cet acte te concerne puisque cette abjuration survient deux jours avant ton mariage avec Angélique, une bonne Canadienne française qui, socialement et religieusement, ne pouvait marier un protestant. 

As-tu fait partie des armées hessoises arrivées à Québec au printemps 1776 ? Ceci est peu probable parce que le « Blocus de Québec » était alors terminé et les lettres patentes en vertu desquelles tu reçois des terres de la Couronne indiquent très clairement que ces récompenses sont destinées aux soldats et membres de la milice qui ont participé au « Blocus de Québec ». 

Est-il possible que, comme c'était souvent le cas à ton époque, nous ayons affaire ici à « un dialogue de sourds », toi n'étant pas instruit et parlant un français rudimentaire et le prêtre ne parlant pas anglais et n'étant peut-être pas fort en géographie ? Est-il possible donc qu'il y ait eu quiproquo entre l'Allemagne et la Hollande et que le prêtre ait confondu les termes « Dutch » (hollandais) et « Deutsch » (allemand) dont la prononciation anglaise est très rapprochée ? 

Hypothèse no

Cette dernière est en quelque sorte une variation des 4 précédentes, à savoir que toi et George étiez peut-être des "loyalistes" qui avez décidé de quitter les colonies américaines lorsque les troubles ont commencé. Comme il y avait alors une importante population hollandaise chez nos voisins du sud, cette hypothèse est digne d'intérêt, mais sa validation va demander d'exigeantes recherches dans des bases de données américaines.

 

À ce stade-ci de ma démarche, je ne peux donc malheureusement statuer sur ton origine et répondre avec certitude à la question qu'on m'a si souvent posée : « Ça vient d'où les Wells ? »

Permets-moi en terminant de t'exprimer ici toute mon admiration et mon respect pour avoir fait le grand saut, pour avoir choisi notre terre souvent inhospitalière à cette époque, pour avoir protégé celle-ci de l'invasion américaine, pour avoir changé de religion et épousé non pas une, mais deux Canadiennes françaises et pour avoir sûrement appris un peu le français.... Pour tout cela et tout ce que je ne connais pas et ne connaîtrai jamais des défis que tu as relevés, je te tire mon chapeau et je te salue bien bas ! 

Je porte fièrement ton nom, 

Lucy Wells
 


Mention et remerciements de l'auteure

Le texte que je soumets pour ce concours est un condensé d'un texte beaucoup plus étoffé que j'ai écrit sur Cornelius/ Nicolas Wells et sa famille qui compte environ 60 pages. Une bibliographie imposante supporte cette recherche et je ne livre ici que quelques références.

Je souhaite également exprimer mes plus chaleureux remerciements à toutes ces personnes qui m'ont aidée et supportée dans ce travail : à la BAnQ, messieurs Rénald Lessard et Michel Simard ainsi que madame Annie Labrecque, à la Société de généalogie de Québec, madame Hélène Routhier et monsieur "ADN", Maurice Germain, sans oublier l'historien Charles-André Nadeau et madame Kathleen Hulley du Morrin Centre.

Sources et Bibliographie

Base de données

ancestry.com/ ancestry.ca/ FamilySearch/ PRDH

BAnQ
  • Quebec Anglican Cathedral Church (Metropolitan Church) 1770-1787- Registre des mariages 

  • Quebec St.Andrew's Presbyterian Church 1770-1802- Register of the B, M and B of the Church of Scotland

  • Advitam : "La ville de Québec au moment du siège de 1775-1776 : milices canadienne et britannique, recrues et marins, combattants américains civils" (sur la base entre autres des "land grants" octroyés par la Couronne britannique)
Archives du diocèse de Québec (acte d'abjuration)
Ouvrages et Revues
  • Fournier, Marcel, "Émergence des communautés anglicane et presbytérienne à Québec au lendemain de la Conquête", revue L'Ancêtre, vol. 46, no. 330, 2020
  • Lindsay, William, "Narrative of the Invasion of Canada by the American Provincials- 1775-1776", Canadian Review & Magazine, vol. 2, no.4, et vol. 3, no. 5
  • Provost, Honorius, "Les premiers anglo-canadiens à Québec. Essai de recensement 1759-1775", IQRC, 1984
  • -----., "Historical Documents Relating to the Blockade of Quebec by the American Revolutionists- 1775-1776", Literary and Historical Society of Quebec, 1905 (ces documents peuvent être consultés à la bibliothèque du Morrin Centre)
Pour la filière anglaise

14 ouvrages consultés dont Coldham, Peter Wilson, The Complete Book of Emigrants 1751-1776, Baltimore, 1953 (et 1987/1993), 4 vol.

Pour la filière écossaise

10 ouvrages consultés dont Dobson, David, Dictionary of Scottish Settlers in North America 1625-1825, 7 vol.

Pour la filière allemande

8 ouvrages consultés dont Kaufholtz-Couture, Claude et Crégheur, Claude, Dictionnaire des sources allemandes et scandinaves au Québec, Septentrion, 2013

Pour la filière loyaliste

8 ouvrages consultés dont Chartrand, René, American Loyalists Troops- 1775-1784, Oxford, Osprey Pub., 2008

Pour la filière hollandaise

Wies, Was, Wie (en hollandais) et Kelly, Arthur C.M., Names, Names, More Names: Locating your Dutch Ancestors in Colonial America, 1999

 

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