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| Ernest et Dorila (11 août 1914). Archives de l'auteure. |
Plaisirs et découvertes, drôles de hasard !
Lyne Laroche
Dès l’âge de 15 ans, je questionnais mes grands-parents Laroche sur leur « temps ». Ma grand-mère, Dorila Desrochers, née le 3 juin 1891, plus réservée, semblait éprouver une certaine gêne à en parler. En revanche, mon grand-père, Ernest Laroche, né le 2 janvier 1893, très volubile et excellent raconteur, se faisait un malin plaisir de partager ses histoires avec moi. « Le Frère André est mon petit-cousin » me disait-il. « Ma mère c’était Philomène Foisy et sa mère c’était aussi une Foisy, elles étaient cousines. » Ou encore : « Mon père s’est marié deux fois et mon grand-père s’est marié trois fois, c’est pour ça que j’ai pris une femme plus vieille que moi, c’était pour être sûr de me remarier un jour, mais elle ne meurt pas !!! » me disait-il en riant aux éclats, devant ma grand-mère, bien sûr !
Je prenais des notes en me disant qu’un jour, je ferais des recherches plus poussées. J’avais aussi un cousin américain, Joey Laroche qui venait nous visiter régulièrement et à chacune de ses visites, il allait à la Grande Bibliothèque de Montréal faire des recherches sur notre famille et me donnait des copies de ce qu’il avait trouvé. Je conservais tout, bien sûr!
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Archives de l'auteure |
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Lyne et Dorila (1978) Archives de l'auteure. |
Ernest et mon fils David (juillet 1983) Archives de l'auteure. |
Au fil des ans, mes visites chez mes grands-parents, très régulières, m’apportaient continuellement de nouvelles informations, que je conservais en réserve…
Puis, quarante ans plus tard (cent ans après leur mariage), après une année sabbatique consacrée aux recherches, j’ai publié, en 2014, un premier livre Mes ancêtres Laroche et Desrochers Tome 1 dans lequel j’ai transmis le fruit de mon travail aux membres de ma famille. J’ai découvert de nombreuses histoires familiales qui valent la peine de les préserver et de les partager pour les générations futures. La plupart sont interreliées, alors laissez-moi vous en résumer quelques-unes et vous expliquer pourquoi j’ai bien failli ne jamais exister.

Figure 1.1
Marguerite Bourgeois est arrivée en Nouvelle-France en 1653, sur le bateau Saint-Nicolas-de-Nantes, amenée par le Sieur De Maisonneuve, comme institutrice. En fait, le but premier de cette expédition, appelée « La Grande Recrue », était de ramener des hommes (102) pour protéger Montréal contre les Iroquois.
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L’arrivée de la Grande Recrue Après trois mois et deux jours d’une traversée éprouvante, la Grande Recrue atteint enfin le Cap-Diamant, le 22 septembre 1653, jour de la Saint-Maurice. Une dernière péripétie achève ce voyage. Laissons ici encore la parole à Marguerite Bourgeoys : "Arrivant devant Québec, on n’avait pas pris garde qu’il y avait, sous ce navire, une arête qui s’enfonça tellement que les grandes marées n’ont pu le relever. Il y a été brûlé." Les recrutés voient donc le vaisseau qui les a conduits en Nouvelle-France se consumer au milieu du fleuve.2 |
En quoi cela est-il en lien avec mes histoires ? Sur ce bateau, parmi les 117 passagers, outre Marguerite Bourgeoys, étaient présents, Jeanne Soldé et Michel Bouvier.
Jeanne Soldé est devenue la belle-mère d’Alexandre Turpin dit Sandrille quand il a épousé sa fille Charlotte Beauvais, en deuxièmes noces, en 1684. Elle est aussi la mère de Raphaël Beauvais, époux d’Élizabeth (Isabelle) Turpin, la fille ainée du premier mariage d’Alexandre Turpin (1640 ou 1641) et Catherine de l’Or (1638). Malheureusement, Charlotte décède le 25 décembre 1700, une semaine après avoir accouché de son huitième enfant. Alexandre Turpin dit Sandrille (61 ans) épouse, en troisièmes noces, Marie Gauthier dit Saguingoira (17 ans) le 25 février 1702. Heureusement pour moi, car de cette union, naîtra une fille, Suzanne Turpin, qui deviendra mon aïeule !!!
J’ai lu, en faisant mes recherches, que Marguerite Bourgeoys mentionnait dans ses mémoires, que c’était grâce à Michel Bouvier, qui avait trouvé plusieurs barques, qu’ils avaient finalement pu arriver à Montréal. (Désolée, je n’ai pas retrouvé la référence).
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La Grande recrue atteint son but ultime le 16 novembre 1653. Au cœur des réjouissances, on parle déjà de la seconde fondation de Montréal.3 |
Extrait du registre « 1713 à 1725 Notre-Dame Montréal » faisant référence à l'église Notre-Dame, construite entre 1672 et 1683 sur la rue Notre-Dame à Montréal. Cette église fut démolie en 1830, car elle a été remplacée par la Basilique Notre-Dame construite à l'avant.
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Transcription Jean Laroche et Suzanne Turpin Le 29 octobre de l'an 1723, après avoir accordé la dispense des trois bans, je, soussigné, Vicaire général de Monseigneur L'Évesque de Québec, ayant pris le mutuel consentement de Jean Laroche, âgé de vingt-quatre ans, fils de Jean Laroche et d'Antoinette Larose, sa femme, de la paroisse de Chébolain, Évêché de Potiers d'une part et de Suzanne Turpin, âgée de dix neuf ans, fille de Alexandre Turpin et de Marie Gautier, sa femme, de cette paroisse d'autre part. Les ay mariés en présence de Nicolas René Chevalier, de François Poitevin, de Jaques Menart et de Nicolas Bourdet. L'époux et l'épouse et le Dit Poitevin ont déclaré ne savoir signer de ce requis. Menart Bourdet L.dViat, vicaire général |
Permettez-moi de vous présenter Mathurine des Bordes. Son mari, Pierre Guiberge et une de ses filles étant décédés pendant la traversée, elle immigre le 29 septembre 1659 à Montréal avec sa fille de 3 ans. Elle épouse Pierre Bessonnet, le 3 mai 1660. Ils auront un garçon ensemble avant qu’elle n’apprenne que son mari avait une femme toujours vivante en France. Son mariage fut donc déclaré nul et elle pourrait se remarier avec qui bon lui semblerait. C’était sûrement le premier cas de bigamie en Nouvelle-France.
Drôle de hasard ! Elle va épouser MICHEL BOUVIER !!!

Figure 2.4
Heureusement que ce mariage a été annulé et que Mathurine Desbordes a eu la bonne idée de se marier avec Michel Bouvier, sinon, pas de Suzanne Bouvier, donc, pas de moi...
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Transcription A esté baptisée Suzanne, fille de Michel Bouvier et de Mathurine Des Bordes, sa femme. Le parrain Gitas Lozon, chaudronnier. La marraine Suzanne ? Gabrielle, femme de Claude Hobutel. Prêtre de St-André |
Effectivement, Suzanne Bouvier, en épousant Louis Brien dit Desrochers, le 16 avril 1681, est devenue mon aïeule. C’est quand même incroyable, vous ne trouvez pas ?
Une traversée avec Marguerite Bourgeoys, Suzanne Turpin dit Sandrille qui naît d’un père de 61 ans et d’une mère de 17 ans et un cas de bigamie déclaré qui fait en sorte que Mathurine DesBordes se remarie pour la troisième fois et met au monde Suzanne Bouvier.
Vous constatez, comme moi, que beaucoup de péripéties et d’éléments originaux ont pimenté mes recherches pendant plusieurs mois. Et ce n’est pas tout !!!

Figure 4.6
Sur le même bateau, le "Saint-Nicolas-de-Nantes", pendant la traversée de 1653, se trouvaient aussi Urbain Jetté et Jean Deniau. Quel lien ont-ils avec moi ?
Urbain Jetté est l’aïeul de tous les Jetté du Québec et le nom de fille de ma mère est ANNETTE JETTÉ. Ben oui !!!
De son côté, ce Jean Deniau est l’ancêtre des Daigneault alors il est l’aïeul du père de mes enfants. Ben oui !!!
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J’ai rencontré une dame dernièrement qui fait des recherches depuis plus de cinquante ans et qui a publié plusieurs livres de généalogie. J’ai vraiment ri lorsqu’elle m’a confié ressentir une émotion particulière quand elle découvrait quelque chose d’extraordinaire, elle appelait cela une "jouissance généalogique". Je pense que je sais ce que c’est !!!
En terminant, je pense que vous serez contents d’apprendre que mon grand-père est le petit-petit-petit-petit cousin du Frère André. Leur ancêtre commun est Antoine Foisy dit Lafrenière époux de Marie-Jeanne Lussier, leur mariage ayant été célébré le 23 octobre 1707 à Repentigny. Ironiquement, ils sont apparentés, aussi, au même niveau, par les femmes de leur famille. (Recherches effectuées sur Ancestry.ca)
Je pense que vous serez contents d’apprendre que mon grand-père, malgré son désir, ne s’est jamais remarié. Ma grand-mère, Dorila Desrochers est décédée le 12 janvier 1983, à l’âge de 91 ans et 7 mois. Mon grand-père, Ernest Laroche, lui a survécu jusqu’au 17 juin 1985. Il nous a quittés à l’âge de 92 ans et 5 mois. Mince consolation, ils ont conservé toutes leurs capacités physiques et intellectuelles jusqu’à la dernière minute.
J’avoue que j’ai de la difficulté à mettre fin à ce texte maintenant, car j’aurais encore quelques histoires familiales à partager… si vous les voulez ? D’accord !!!
J'ai eu la chance, en août 2015, de rencontrer M. Georges Vaillancourt, webmestre de "l'Association des Laroche et Rochette". Ceux-ci sont les descendants de Michel Rognon dit Laroche, un des premiers pionniers de la Nouvelle-France. En passant, au Québec, les gens portant le patronyme "LAROCHE" proviennent de 18 souches différentes.
M. Vaillancourt, passionné de généalogie, m'a informé du résultat de ses recherches, concernant mes ancêtres, sur différents sites de généalogie et d'histoire. Voici ses incroyables découvertes. Suzanne Turpin, mon aïeule, aurait eu un enfant, avant d'épouser Jean Laroche le 29 octobre 1723. Selon le document de la page suivante, découvert par M. Vaillancourt, elle aurait été abusée par le boulanger Antoine Poudret sous de fausses promesses de mariage et elle est devenue enceinte. Son beau-père, le mari de sa mère, lui a intenté un procès. Il semble qu'Antoine Poudret n'a jamais fait de prison à cause de son métier de boulanger, très en demande à cette époque.
Suzanne Turpin aurait accouché de Clémence le 16 avril 1723. Celle-ci sera adoptée par Jean Laroche après leur mariage, le 29 octobre de la même année.

Grâce aux informations fournies par les recherches de M. Vaillancourt, je suis en mesure de confirmer que Suzanne Turpin a vraiment eu un frère ainé. En fait, un demi-frère… En date du 18 février 1704, Marie Gauthier intente un procès à François Brunet dit Bourbonnais pour l'avoir mise enceinte...alors que son mari (Alexandre Turpin) l'avait délaissée... et elle accouche le 20 mars 1704 d'un fils nommé François Turpin. Malgré ce procès public qui confirme qu’il n’est pas le géniteur, Alexandre Turpin l'a reconnu comme son fils.

Ces documents prouvent bien, maintenant, l'existence de François Turpin dit Sandrille. Je n'en étais pas certaine, car je n’avais trouvé qu’une seule source. Aucune trace de lui par la suite, il ne s'est probablement jamais marié au Québec et on ne connait pas la date de son décès.
Je me sens satisfaite de vous avoir partagé toutes ces histoires rocambolesques et pourtant bien documentées. J’imagine qu’il y en a dans chaque famille, mais qu’elles demeurent souvent cachées. J’avoue avoir eu beaucoup de plaisir à débusquer, avec de l’aide, quelques fois, ces légendes qui pourraient bien faire une trame de fond pour un film ou être matière pour écrire un roman.
Je vous laisse, enfin, direz-vous ! Sinon, sachez que j’ai encore et toujours d’autres informations et/ou histoires à partager… Peut-être à la prochaine !!!
1. "La grande recrue de 1653, l’opération qui a sauvé Montréal" - Aujourd’hui l’histoire. Lundi 24 février 2025 https://ici.radio-canada.ca/ohdio/premiere/emissions/aujourd-hui-l-histoire/segments/rattrapage/2000866/aujourd-hui-histoire-grande-recrue-1653-avec-catherine-ferland
2. 3. Les écrits de Mère Bourgeoys, p.47 et Dictionnaire biographique du Canada, tome 1, p. 225
4. wikitree.com/wiki/Bouvier-36
5. Ancestry.ca (extrait daté du 24 juin 1664 en haut de feuillet)


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