Voir Annexe 10
Louise GARGOTINE dans mon histoire
Jocelyne Cauchon
Société de généalogie Saint-Hubert
Pour retracer mon histoire, j’ai commencé par bâtir ma lignée matrilinéaire (Annexe 1). J’y ai découvert que je descendais de Louise GARGOTTIN/GARGOTIN/GARGOTINE, une des 36 premières Filles du Roy à fouler le sol québécois. J’ai retenu la graphie GARGOTINE, un procédé utilisé à une époque pour féminiser les patronymes1. Le Programme de recherche en démographie historique (PRDH) retient cette même graphie.
En consultant les travaux du Groupe de recherche interdisciplinaire en démographie et épidémiologie génétique (UQAC), j’ai appris que si les matronymes avaient été donnés aux enfants plutôt que les patronymes, 49 500 personnes auraient porté le nom GARGOTINE. Le patronyme TREMBLAY, le plus fréquent comme montré dans le tableau ci-joint, aurait disparu de la liste des noms, car il n’y a eu aucune pionnière TREMBLAY.
En rédigeant ma lignée matrilinéaire, j’ai utilisé les règles d’écriture suggérées par Pierre-Yves Dionne et Gabrielle Dussault : ajouter le nom de la première femme à s’être mariée et à avoir donné une progéniture en Nouvelle-France entre parenthèses et le faire suivre du patronyme de l’ancêtre paternel. Ainsi, je me nomme Jocelyne (GARGOTINE) CAUCHON. Une telle dénomination d’une personne démontre l’importance des femmes dans sa vie, car génétiquement un individu descend autant de sa mère que de son père.
L’exercice d’écriture s’est converti rapidement en exercice de réflexion. Quels liens m’unissaient à Louise GARGOTINE ? Je suis partie à la découverte de cette femme et de ses descendantes.
Mon ancêtre Louise GARGOTINE
« Fille de Françoise BERNARD et de Jacques GARGOTIN, Louise GARGOTINE nait en France, en 1637 (recensement de 1667) ou 1644 (recensement de 1681). »2. « Elle meurt “entre le 7 février (testament) et le 20 mai 1704 (inventaire), âgée d’environ 67 ans” »3.
La famille GARGOTINE appartient vraisemblablement à la classe des « manouvriés », classe nombreuse et défavorisée, avec une condition de vie des plus misérables. Courage et détermination sont nécessaires pour améliorer sa situation.
Embarquée à La Rochelle sur l’Aigle d’Or, Louise voyage pendant 3 mois, 3 semaines et 3 jours. Sur les 225 passagers, seulement 149 arriveront sur terre le 26 septembre 1663. Selon la SHFR, une épidémie de scorbut, le peu de nourriture et le manque d’eau potable ont rendu la traversée pénible4.
Les Filles du Roy sont des immigrantes, filles ou veuves, venues au Canada de 1663 à 1673 inclusivement et présumément bénéficiant d’une aide royale dans leur transport ou leur établissement5. La Société historique des Filles du Roy (SHFR) les nomme les Mères de la Nation québécoise à cause de leur mandat royal et collectif qui les distingue des femmes venues avant ou après elles. Yves Landry en a recensé 727.
Le recrutement des Filles du Roy s’appuyait sur des critères : « belle, travaillante, débrouillarde, capable de faire de l’ouvrage de main, en santé, saine de corps et d’esprit, libre d’attaches familiales, provenant de milieu modeste, orpheline ou veuve, ou de famille tombée dans la détresse voulant un avenir meilleur pour leur fille, de bonnes filles et des catholiques avec un certificat de bonnes mœurs souvent obtenu du curé de la paroisse (quelques-unes se sont converties au catholicisme) »6.
Après la venue des filles du Roy, la Nouvelle-France comptera plus d’enfants nés dans la colonie que d’enfants provenant de migrants, et en 10 ans, la colonie triplera.
Son mandat royal
Pour réaliser son mandat royal, Louise GARGOTINE se marie deux fois et met au monde sept enfants.
Louise épouse d’abord François Daniel PERRON dit SUIRE le 26 février 1664 à Château-Richer. Le couple vivra à L’Ange-Gardien sur une terre obtenue par Daniel quelques semaines après le mariage. Il se voit adjuger en justice une terre et habitation appartenant à Desorcis, l’ancien procureur de PERON père. Grâce à cette donation, Daniel devient censitaire dans la seigneurie de Beaupré.
Daniel est né le 25 novembre 1638 à La Rochelle. Il est le fils de Jeanne SUIRE et de François PERON, un marchand-engagiste, bourgeois et avitailleur de La Rochelle. Le garçon est un enfant né hors mariage.
Le couple aura six enfants : Antoine, François, Marie, Marie-Madeleine, Jean et Anne. Daniel meurt en 1678.
Louise convole en deuxièmes noces avec Charles-Louis ALAIN, le 7 janvier 1679 à L’Ange-Gardien. Ils auront une fille, Marie, qui décèdera en bas âge.
Son legs
Louise GARGOTINE nous a laissé son ADNmt. Selon les données scientifiques, on sait que toutes les femmes de ma lignée matrilinéaire, ainsi que moi-même portons son ADNmt. Comment cela se peut-il?
ADNmt
Comme toute femme, Louise porte en elle des ovules, des cellules avec un noyau et un cytoplasme, qui contiennent deux types d’ADN : un ADN nucléaire dans le noyau et un ADN mitochondrial (ADNmt) dans le cytoplasme.
Lors de la fécondation d’un ovule, l’ADN nucléaire du père se combine à celui de la mère dans le noyau. Cependant, dans le cytoplasme de l’ovule, aucun ADNmt ne vient s’ajouter à celui de la mère, car le spermatozoïde ne le traverse pas. Ainsi, les hommes reçoivent l’ADNmt de leur mère, mais ils ne le transmettent pas, sauf dans de très rares cas selon les données scientifiques.
Louise GARGOTINE a donc donné son ADNmt à sa fille Marie, laquelle l’a transmis à sa fille, et, ainsi de suite pour toutes les femmes de ma lignée directe. Il se peut que quelques mutations génétiques aient affecté ces gènes, mais rien ne le prouve.
Mais que révèle cet ADN ? Des traits physiques ou des traits de caractère ? Si la science ne peut répondre à cette question, je peux tout de même me permettre de poser mes hypothèses.
Courage et détermination pour un avenir meilleur
Souvent de famille pauvre, les femmes de ma lignée matrilinéaire ont cherché à se bâtir un avenir meilleur. En retraçant ce qu’il m’était possible de connaitre sur elles, j’ai posé l’hypothèse que sept d’entre elles ont hérité de traits de caractère de Louise : courage, détermination, bravoure et occupation de lieux différents d’où elles sont nées. Non seulement elles ont changé de village, en plus elles ont quitté leur région natale, à la différence de mes ancêtres paternels CAUCHON qui sont demeurés dans la Capitale nationale. Seul mon père est l’exception qui confirme la règle. Il a vécu la dernière année de sa vie en compagnie de ma mère dans la région de la Montérégie dans le but de se rapprocher de ses enfants (annexe 2).
- Louise GARGOTINE n’a pas craint les déménagements. Elle a même quitté son pays…
- Sa fille, Marie PERRON dit SUIRE quitte la région de la Capitale nationale pour celle de Charlevoix.
- Son époux Louis TREMBLAY, impliqué dans la construction des moulins, aidera sa fille Marie-Dorothée TREMBLAY et son gendre Étienne DESBIENS à s’établir à L’Isle-aux-Coudres et il leur obtiendra deux terres et quatre arpents. Pendant cinq générations, les femmes habiteront cette région.
- Ce sera Louise GIRARD qui se rendra au Saguenay–Lac-Saint-Jean, plus précisément à Chicoutimi, pour marier un journalier originaire des Éboulements, et y avoir ses enfants.
- Sa fille, mon arrière-grand-mère, Isabelle TREMBLAY, demeurera dans cette région jusqu’au début de 1900 avant de venir s’installer à Québec. Pour se sortir de la misère, elle travaillera comme femme de chambre à l’Hôtel Roberval, le grand hôtel de la région à cette époque. En plus d’attirer des touristes, il loge les officiers de la Quebec Lake-St-John Railway (QLSJR). C’est ainsi qu’Isabelle connaitra un « road master » de cette compagnie, un Écossais ou Néoécossais, et l’aimera assez pour briser ses fiançailles à un jeune fermier de Roberval. Elle se mariera avec cet ingénieur. Ma grand-mère, Rose-Blanche (Mary), naitra dans cet hôtel.
- Pour ce qui concerne ma mère, Hazel MORNEAU, elle a souvent raconté qu’elle se serait éloignée de Québec si la vie lui avait donné cette opportunité. Elle a quitté sa région natale sans hésiter pour s’installer à Brossard et se rapprocher de ses enfants à la fin de sa vie.
- Moi, Jocelyne CAUCHON, j’ai habité dans Ungava pour réaliser mon rêve d’enseigner avant de poursuivre ma route jusqu’en banlieue de Montréal.
Avec toutes ces trouvailles, j’ai maintenant un nouveau regard sur ma lignée !
1. MOLLET, V. Méthodologie généalogique — questions générales. Généanet. 2009-08-06. https://www.geneanet.org/forum/viewtopic.php?t=389712.
2. PERRON, Guy. 7— L’origine thairésienne de Louise Gargotin (1637-1704). Le blogue de Guy Perron. 2013-12-16. [Citation : 2022-10-21.] lebloguedeguyperron.wordpress.com/2013/12/16/lorigine-thairesienne-de-louise-gargotin-1637-1704/#_edn2.
3. . 122 — La mort de Louise Gargotin (c. 1637-1704), Fille du Roy de 1663. Le blogue de Guy Perron. 2016-04-10. [Citation : 2022-10-21.] https://lebloguedeguyperron.wordpress.com/2016/04/10/122-la-mort-de-louise-gargotin-c-1637-1704-fille-du-roy-de-1663/.
4. WIEN, Tom et Suzanne GOUSSE. Filles du roi. L’encyclopédie canadienne. 2015-12-06. [Citation : 2022-10-30.] https://www.thecanadianencyclopedia.ca/fr/article/filles-du-roi.
5. UNIVERSITÉ DE MONTRÉAL. Programme de recherche en démographie historique. PRDH. 2018—08. https://www.prdh-igd.com.
6. LA SOCIÉTÉ DES FILLES DU ROY. Recueil des données sur les Filles du Roy: engagement, traversée, arrivée et mariage. s.l. : SHFR, 2015-12-03.
Biographie
BÉDARD, Raymond. L’Isle-aux-Coudres, fragments d’histoire. Histoire du Canada. 2020-05-26. https://www.histoirecanada.ca/consulter/sites-historiques/l-isle-aux-coudres-fragments-d-histoire#:~:text=Elle%20fut%20baptisée%20par%20Jacques,qui%20ressemblent%20à%20des%20coudriers.
BOYKO, John. Compagnie des Cents-Associés. L’encyclopédie canadienne. 2013-02-10, p. 9.
DIONNE, Pierre-Yves. De mère en fille : comment faire ressortir la lignée maternelle de votre arbre généalogique. Montréal : Éditions Multimondes, 2004. p. 79.
DUSSAULT, Gabrielle. De mère en fille, la généalogie au féminin : La lignée matrilinéaire parce que la vie ne vient pas que du père. s.l. : Fédération québécoise des sociétés de généalogie, 2022-11-19.
MAILLOUX, M. abbé. Histoire de l’Ile-aux-coudres. Montréal : s.n., 1879.
MUNICIPALITÉ DE L’ANGE-GARDIEN. L’Ange-Gardien — Municipalité de L’Ange-Gardien. Histoire du Québec — Toute l’histoire du Québec depuis ses débuts. 2022-12-17. [Citation : 2022-11-30.] https://histoire-du-quebec.ca/l-ange-gardien/.
PERRON, Guy. Daniel Perron dit Suire (1638-1678) — Une existence dans l’ombre du père. Guy Perron. http://www.guyperron.com/ptdaniel_perron_carriere.html.
Aussi de PERRON Guy :
- Fallacieuse biographie de Louise Gargotin, fille du roi de 1663. Le blogue de Guy Perron. 2016-03-17. https://lebloguedeguyperron.wordpress.com/2016/03/17/119-fallacieuse-biographie-de-louise-gargotin-fille-du-roi-de-1663/#_edn7.
- François Peron (1615-1665) Marchand-engagiste, bourgeoys et avitailleur de La Rochelle. guyperron.com. après 1999. [Citation : 2022-10-30.] http://www.guyperron.com/ptfrancois_peron_proprietaire.html.
- Hommage à Louise Gargotin, Fille du Roy en 1663, à Thairé d’Aunis. Le blogue de Guy Perron. 2016-06-24. [Citation : 2022-10-28.] https://lebloguedeguyperron.wordpress.com/2016/06/24/129-hommage-a-louise-gargotin-fille-du-roy-en-1663-a-thaire-daunis/.
- Les enfants Perron-Gargotin-Marie 3/6. Le blogue de Guy Perron. 2015-01-22. [Citation : 2022-12-02.] https://lebloguedeguyperron.wordpress.com/2015/01/22/62-les-enfants-perron-gargotin-marie-36/.
- L’union Daniel Perron dit Suire et Louise Gargotin en février 1664. Le blogue de Guy Perron. 2014-02-23. [Citation : 2022-10-22.] https://lebloguedeguyperron.wordpress.com/2014/02/23/lunion-daniel-perron-dit-suire-et-louise-gargotin-en-fevrier-1664/.
LA SOCIÉTÉ D’HISTOIRE DES FILLES DU ROY. Les Filles du Roy pionnières de Montréal. Québec : Les Éditions Septentrion, 2017. p. 679.
TREMBLAY, Marc, JOMPHE, Michèle et Hélène VÉZINA. Au nom des pionnières, de leurs filles et de toute leur descendance. Histoire Québec. 2011. [Citation : 2022-10-29.] https://www.erudit.org/fr/revues/hq/2011-v17-n1-hq050/66162ac.pdf.
WIKIPÉDIA. ADN nucléaire. Wikipédia — L’encyclopédie libre. 2023-01-18. [Citation : 2023-10-02.] https://fr.wikipedia.org/wiki/ADN_nucléaire.
Annexes
0. Annexe 1 - Lignée matrilinéaire et notation du matronyme
Annexe 2 - Tableau comparatif des régions habitées par mes ancêtres maternels et paternels