Métier ou profession d'ancêtre(s)

Textes publiés lors de la 1re édition du Concours "Mes ancêtres au bout de ma plume !" lors de la SNG 2023.
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Coupure de journal | La Parole, 30 novembre 1939, p.1

Louis-Alfred Ferland, artiste entrepreneur

Luce Marquis

Société de généalogie des Cantons-de-l'Est

 

Louis-Alfred Ferland, l’un de mes arrière-grands-pères du côté maternel, fut le premier de mes ancêtres à s’installer à Drummondville où je suis née. Il est décédé en 1941, peu de temps avant le cinquième anniversaire de naissance de ma mère. Lorsque maman raconte ses souvenirs d’enfance, elle nous le présente ainsi : « Il était debout dans sa charrette à foin, tirée par deux énormes chevaux et, malgré le chemin en gravelle cahoteux, il semblait si solide sur ses deux pattes qu’on aurait dit que c’étaient des billots de bois qui le soutenaient au lieu de ses jambes. J’étais très intimidée. Il me semblait être un géant. » Ce lointain souvenir exerça tôt chez moi un vif intérêt si bien qu’il était inévitable, lorsque j’entrepris de dresser mon arbre généalogique, de faire apparaître la branche maternelle et d’explorer le passé de cet aïeul.

Photographe ambulant de la fin de 19e siècle jusqu’aux premières années du 20e, cet aïeul avait l’habitude des routes difficiles. Fils du meunier Louis-Honoré Ferland et de Philomène Laroche, il était né le 27 novembre 1869 à Saint-Flavien dans le comté de Lotbinière1. Il appartenait à une fratrie de neuf frères et sœurs2,3. À sa naissance, voilà déjà trente ans que la photographie est apparue. Cet art permet à des familles relativement bien nanties de faire appel à une nouvelle catégorie de portraitistes qui créent des œuvres les représentant pour la postérité. Jusqu’alors, seuls les gens fortunés pouvaient répondre à ce besoin de devenir en quelque sorte immortel en recourant aux services de peintres portraitistes4. Était-ce dû à une âme d’artiste et d’aventurier jumelée à un esprit d’entrepreneur ? Louis-Alfred choisit de commencer sa vie active en tant qu’artiste-photographe ambulant.  

En 1894, il habite la paroisse de Saint-Jean Deschaillons située sur la rive sud du Saint-Laurent en face de Sainte-Anne-de-la-Pérade. Il y vit jusqu’en 1902 alors qu’il s’installe avec Malvina Lacroix, sa seconde épouse, dans la paroisse de Sainte-Julie de Somerset aujourd’hui fusionnée à la municipalité de Laurierville. C’est là que naît Édith, ma grand-mère maternelle, en 1904. Puis, vers 1906, la famille s’installe à Drummondville.

Mais revenons à 1894. Louis-Alfred, alors âgé de 24 ans, fait l’acquisition d’un terrain à Saint-Jean Deschaillons où il habite et exerce l’art de la photographie5. Quelques années plus tôt, lors du recensement de 1891, il a déjà quitté la maison familiale. Honoré et Philomène vivent toujours à Saint-Flavien avec sept de leurs neuf enfants6. Nulle trace de Louis-Alfred lors de ce dénombrement qui révèle alors la présence de 179 photographes au Québec7. Si l’on se fie à ses œuvres retrouvées, mon bisaïeul semble s’être déplacé dans de nombreux villages de la Mauricie, du Centre-du-Québec et de Chaudière-Appalaches8. Photographe ambulant ou itinérant, peut-être s’est-il rendu un jour jusqu’en Estrie9 ? Chose certaine, c’est dans cette région, plus précisément à Wotton, qu’il épouse Nancy Lacroix en 1897. Puis, en janvier 1900, six mois après le décès de celle-ci, il épouse Malvina, la sœur de Nancy. Avant que leur famille ne revienne s’établir au Québec, les deux sœurs étaient nées aux États-Unis respectivement en 1868 et 187110.

Récemment, je me suis fait plaisir en revisionnant J.A. Martin photographe, film qui assura la notoriété du cinéaste Jean Beaudin. Tout comme l’acteur Marcel Sabourin qui incarnait Joseph-Albert, j’imagine bien Louis-Alfred circulant sur les routes de campagne dans sa roulotte tirée par des chevaux alors qu’un nouveau siècle s’ouvre. Bilingues tous les deux, cet atout recherché leur permettait de courtiser une large clientèle. 

Aujourd’hui, le Musée national des Beaux-Arts du Québec11 et le Musée McCord Stewart conservent quelques-unes des photographies de Louis-Alfred12. On en retrouve d’autres dispersées sur différents sites Web. Les photos semblent toujours prises à l’extérieur dans un décor fort simple : placé derrière les sujets, un drap sert de décor.  On y ajoute parfois une table ou des chaises. Pour réaliser ses portraits, mon arrière-grand-père utilisa principalement le procédé à la gélatine argentique, mais aussi le papier albuminé.

Ambitieux, en 1900, Louis-Alfred et Malvina étaient également propriétaires d’un magasin général à Saint-Jean Deschaillons13. Lors du recensement de 1901, Louis-Alfred se dit artiste et Malvina, marchande14. Puis en 1902, ils prennent la direction de Laurierville pour y poursuivre leur commerce15. Nul doute que les nombreux déplacements de Louis-Alfred lui permirent d’accumuler de précieuses informations qui influencèrent sa trajectoire et celle de sa famille.

C’est ainsi qu’ils mettent le cap en direction de la municipalité de Drummondville encore toute jeune et remplie de promesses vers 1906, année de la création de l’épicerie Ferland au coin des rues Lindsay et Marchand. À cette époque, cette dernière était nommée rue du Couvent16. Louis-Alfred et Malvina ont alors cinq enfants, dont Marie-Anne née du 1er mariage de Louis-Alfred. Réjeanne, la benjamine, naîtra en 1909. Au moment de s’établir à Drummondville, mon bisaïeul semble avoir abandonné l’art de la photographie. Il importe de noter que les photographes ambulants cèdent peu à peu la place aux studios de photographie. En outre, l’invention du Kodak en 1888 permet de démocratiser cet art et les photographes amateurs seront de plus en plus nombreux à exercer leurs talents au cours des années qui suivront17.

Dans sa ville d’adoption, la famille Ferland habite sur la rue Dorion près de la gare. Le fait d’habiter non loin de ce lieu stratégique n’est pas anodin dans la suite de l’histoire. En effet, Malvina offrait le dîner aux employés des chemins de fer. C’est ainsi que sa fille Édith, ma grand-mère maternelle, fait la connaissance de son futur époux Ernest Guay, lequel résidant de Lévis, travaille pour le Canadien National et fait régulièrement des arrêts à Drummondville. Ernest aux yeux bleus est séduit par la ravissante musicienne Édith elle-même sous le charme du merveilleux conteur qu’il se révèle. Les tourtereaux se marient le 6 juillet 1925 en la paroisse Saint-Frédéric18.

Pendant ce temps, la croissance de la Ville se poursuit, ce qui permet à Louis-Alfred de faire fructifier son commerce. La population de Drummondville, qui s’élève à 1450 habitants en 1901, grimpe jusqu’à 6609 habitants en 193119. Au fil des ans, Louis-Alfred fait également l’acquisition de nombreux terrains et devient un notable respecté de ses pairs. En 1929, après avoir cédé son épicerie à son fils unique René (Bruno né en janvier 1902 est décédé en décembre 191720,21 probablement de la tuberculose), outre le travail sur sa ferme, il se consacre au développement de ses biens immobiliers.

Toujours très actif, en 1936, Louis-Alfred est élu échevin. Il est réélu en 1938 et 194022. Ces nouvelles responsabilités lui permettent de contribuer au développement de la ville de Drummondville dans de nombreuses sphères d’activité. On peut suivre plusieurs de ses interventions dans diverses éditions du journal La Parole des années 1936 à 1940. Pour des raisons de santé, il doit quitter ce poste à la fin de l’année 194023.

Ainsi, après avoir fait carrière comme photographe itinérant, Louis-Alfred devint épicier, fermier, propriétaire terrien et échevin à Drummondville. Sur l’un de ses terrains, des parties de baseball avaient lieu24 ainsi que différents types de course : courses à pied, courses cyclistes ou courses de chevaux25. De même, à une certaine époque, une partie de Drummondville s’appelait Village Ferland. Ce Village, à l’intérieur duquel on retrouve aujourd’hui les rues Bruno et Ferland, fut annexé à la Ville de Drummondville en 1938 en même temps que le Village St-Pierre26.

Malvina, qui était institutrice à Wotton avant de se marier27, est décédée en novembre 1930 à la suite d’une brève maladie28,29.Un an plus tard, Louis-Alfred épousa Valérie Lamothe, veuve sans enfant de Georges Théroux30. Louis-Alfred se disait alors commerçant et cultivateur. Sur sa terre, il y avait, entre autres, plusieurs pommiers ainsi que de nombreux plants de fraises, de framboises et de bleuets dont raffolaient ses petits-enfants.

Force de la nature, mon arrière-grand-père Ferland est décédé le 16 juin 1941 à Drummondville31 des suites d’un bête accident survenu sur sa ferme quelques mois plus tôt. Parti trop rapidement, il n’aura connu que dix des douze enfants de mes grands-parents, Édith et Ernest. Outre ses enfants et petits-enfants, ses frères, une sœur et des beaux-frères, il laissait également dans le deuil sa troisième épouse. Ainsi que rapporté dans le journal local, il eut droit à d’imposantes funérailles. La messe fut chantée par l’abbé Gaston Allard du Séminaire de Sherbrooke, fils de feu Philomème Lacroix, sœur de Malvina, lequel avait aussi chanté le service de mon arrière-grand-mère en 193032.

Quelques descendants de Louis-Alfred aux patronymes variés demeurent toujours à Drummondville. Toutefois, sa descendance s’est surtout dispersée un peu partout au Québec, principalement dans les régions de Montréal, de Québec et en Estrie. Des membres de la famille se sont aussi installés en Europe. En 1948, une rue de Drummondville se vit attribuée l’odonyme Ferland en mémoire de Louis-Alfred33. Quelques années plus tôt, soit en 1937, une autre rue de la ville s’était vue attribuée l’odonyme Bruno faisant référence au fils aîné de Louis-Alfred et de Malvina lequel était décédé le 19 décembre 1917 à l’aube de ses 16 ans34.

 


1. Ancestry, Registres d’état civil et registres paroissiaux (Collection Drouin), Québec, Canada, 1621 à 1968. Naissance de Joseph Alfred Ferland le 27 novembre 1869. Consulté le 8 août 2023.

2. BAC Canada, recensement du Canada de 1881, district de Lotbinière, sous-district St-Flavien, p. 38.

3. BAC Canada, recensement du Canada de 1891, district de Lotbinière, sous-district St-Flavien, p. 9-10.

4. LEBRUN, Robert. « Un studio de photographie en campagne ! », Au fil des ans, vol. 20, no 4, automne 2008, p. 17.

5. BAnQ. Vente par François Xavier Desroberts, cultivateur, à Louis Alfred Ferland, photographe, minutier de Joseph-A. Latour, le 19 mai 1894, acte no 4296.

6. BAC Canada, recensement du Canada de 1891, district de Lotbinière, sous-district St-Flavien, p. 9-10.

7. LEBRUN. Op. cit., p. 17.

8. Un grand merci à monsieur Daniel Magny qui s’est intéressé au travail de mon bisaïeul et a recueilli plusieurs de ses photos au cours des dernières années. Des photos des ancêtres de monsieur Magny prises par L. A. Ferland sont parues dans la revue Héritage, vol. 40, no 2, été 2018, p. 33 et dans le journal Le Nouvelliste, 8 avril 2000, cahier 4, p. 44.

9. On retrouve une photo attribuée à Louis-Alfred dans le Fonds Famille Joseph Lépine, une famille originaire de St-Georges-de-Windsor, fonds déposé au Musée d’histoire de Sherbrooke, histoiresherbrooke.ca/sheet.php?uid=6801. Consulté le 10 août 2023.

10. BAC Canada, recensement du Canada de 1881, district de Wolfe, sous-district Canton de Wotton, p.37

11. Musée national des beaux-arts du Québec. Ferland, Louis-Alfred, https://collections.mnbaq.org/fr/artiste/600012443. Consulté le 3 août 2023.

12. Musée McCord Stewart. Œuvres de : "L. A. Ferland", https://collections.musee-mccord-stewart.ca/fr/people/25660/l-a-ferland/objects. Consulté le 3 août 2023.

13. « Chronique de Québec », Le Prix courant : journal du commerce, mercredi 24 octobre 1900, p. 143, https://collections.banq.qc.ca/ark:/52327/2746857. Consulté le 3 août 2023.

14. BAC Canada, recensement du Canada de 1901, district de Lotbinière, sous-district Village Deschaillons, p. 3.

15. « Dans les Bois-Francs – Ste-Julie de Somerset », L'Écho des Bois-Francs : journal industriel, politique, agricole et commercial, samedi 18 octobre 1902, p.4, https://collections.banq.qc.ca/ark:/52327/3690278. Consulté le 3 août 2023.

16. « L’épicerie R.-G. Ferland eut des débuts modestes », L'illustration nouvelle, samedi 5 octobre 1940, p. 17, https://collections.banq.qc.ca/ark:/52327/2692300. Consulté le 3 août 2023.

17. TWEEDIE, Katherine, et Penny COUSINEAU. « Photographie au Canada », L’Encyclopédie canadienne, 2022, https://www.thecanadianencyclopedia.ca/fr/article/photographie. Consulté le 3 août 2023.

18. Ancestry, Registres d’état civil et registres paroissiaux (Collection Drouin), Québec, Canada, 1621 à 1968. Mariage d’Ernest Guay et Édith Ferland, St-Frédéric de Drummondville, 6 juillet 1925. Consulté le 8 août 2023.

19. « Drummondville (Saint-Frédéric) », Originis, https://originis.ca/paroisses/p_alpha/p_d/paroisse_drummondville_saint_frederic/. Consulté le 3 août 2023.

20. BAnQ, Registres de l’état civil du Québec, Saint-Jean-Baptiste-de-Deschaillons, Baptême de Joseph Bruno Bertrand Ferland, 30 janvier 1902.

21. BAnQ, Registres de l’état civil du Québec, Saint-Frédéric-de-Drummondville, Sépulture de Bruno Ferland, 21 décembre 1917.

22. Procès-verbaux de la ville de Drummondville des 4 février 1936, 10 février 1938 et 5 février 1940.

23. « M. Wilfrid Poulin a été élu échevin », La Parole, 17 octobre 1940, p.1

24. « Ouverture officielle de la saison de baseball dimanche », La Parole, 26 mai 1932, p. 4

25. « La matinée sportive de demain au terrain de courses Ferland », La Parole, 30 juin 1932, p. 16

26. « L’annexion de St-Pierre », La Parole, 14 juillet 1938, p.1

27. O’BREADY, Maurice. Histoire de Wotton, Sherbrooke, Archevêché de Sherbrooke, 1949, p. 187.

28. « Les funérailles de Mme L. A. Ferland », La Parole, 27 novembre 1930, p. 4

29. « Late Mrs. Ferland », The Spokesman, 25 novembre 1930, p.1

30. Généalogie Québec, Mariages et décès 1926-1997. Mariage Louis-Alfred Ferland et Valérie Lamothe. Consulté le 8 août 2023.

31. Ibid. Sépulture Louis-Alfred Ferland.

32. « Fiche de L.-A. Ferland », Société de généalogie de Drummondville - Avis de décès, 2023, https://sgdrummond.quebec/avisdedeces/

33. COMMISSION DE TOPONYMIE. Banque de noms de lieux du Québec – Rue Ferland – Drummondville (Ville), 2022 https://toponymie.gouv.qc.ca/. Consulté le 3 août 2023.

34. COMMISSION DE TOPONYMIE. Banque de noms de lieux du Québec – Rue Bruno – Drummondville (Ville), 2022 https://toponymie.gouv.qc.ca/. Consulté le 3 août 2023.

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