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SEMAINE NATIONALE DE LA GÉNÉALOGIE
Du 18 au 25 novembre 2023                             

« Tu enfanteras dans la douleur » une mère de Nouvelle-France : Françoise Fafard Laframboise

Les mères : sainte Anne et sa fille la Vierge Marie | Georges de La Tour, The Newborn Christ (c. 1645–1648).

« Tu enfanteras dans la douleur » une mère de Nouvelle-France : Françoise Fafard Laframboise

Hélène Bilodeau, GFA

Généalogie Abitibi-Témiscamingue 

 

De nos ancêtres féminines, on ne sait pas grand-chose, si ce n’est qu’elles ont été des mères. C’est ce rôle qui est valorisé par la généalogie, mais aussi par l’Histoire : ces braves « mères de famille » qui ont eu de nombreux enfants et ont permis la colonisation durable du pays.

Voici l’histoire un peu différente d’une brave mère de famille.

Françoise Fafard nait à Trois-Rivières le 7 février 1692. Baptisée du même prénom que sa mère Françoise Marchand, sa marraine est sa tante Marie Lucas, demi-sœur de sa mère. Elle grandit dans un milieu prospère, car son père, Jean Baptiste Fafard, est un riche commerçant de fourrures. Cette aisance matérielle ne garantit pas une grande postérité, car la famille ne compte que cinq enfants.

La jeune Françoise a tout pour être heureuse et à 21 ans, le 5 octobre 1713, elle fait un bon mariage. Elle n’épouse rien de moins qu’un officier de 30 ans qui a été honoré du titre de Chevalier de Saint-Louis. Dans le registre de Trois-Rivières, on le présente comme François Augustin Baron de Joannès, lieutenant dune compagnie du détachement de la marine, « fils de Messire Balthazar baron de Joannès et lieutenant colonel du Régiment de la Laferté et de Dame Catherine Morthier de la paroisse de St-Roch, Archevêché de Paris ».

Après la noce, il est temps de donner une descendance au baron. Un an et demi plus tard nait un fils, François Charles. Le baptême, comme le mariage, est un moyen de créer ou de consolider des alliances entre les familles. Ainsi, la marraine sera Marie Anne Fafard Laframboise, tante de l’enfant, tandis que le parrain sera Charles Godefroy de Tonnancourt, fils du Sieur de Tonnancourt, procureur du roi, lieutenant général civil et criminel de la juridiction de Trois-Rivières. Le premier fils de Joannès est celui qui doit assurer la lignée, mais Françoise a la douleur de voir son bébé mourir quatre jours plus tard, le 18 avril 1715.

On s’empresse sûrement de rassurer la jeune mère : un premier accouchement est souvent plus difficile, beaucoup de femmes perdent un bébé et peuvent avoir une grande famille par la suite. L’avenir leur donne raison puisque dix-huit mois plus tard, le 3 janvier 1717, nait une première fille. Le jour même de la naissance, on la porte à l’église pour le baptême et cette fois, le parrain est Jean-Baptiste Fafard, marchand et lieutenant de milice, mais aussi grand-père de l’enfant. La marraine est Suzanne Godefroy de Tonnancourt, de la même famille que le parrain de son aîné. Les mères ne sont bien entendu pas présentes à la cérémonie, si tôt après l’accouchement, mais Françoise n’assistera pas non plus à l’inhumation de la petite Marie Suzanne trois jours plus tard.

Tout juste neuf mois plus tard, c’est lors d’un déplacement à Québec qu’a lieu la troisième naissance. Ondoyé sur place pour lui permettre d’éviter les « limbes », mais demeurant Anonyme, il est inhumé le 16 octobre 1717. Françoise n’aura pas beaucoup le temps de se remettre, car, de retour à Trois-Rivières, elle accouche d’un second Anonyme le 22 juillet 1718, à peine neuf mois après le précédent. Il n’y a pas de funérailles pour les bébés, juste une inscription au registre et une bénédiction à la mise en terre au cimetière.

Une cinquième grossesse l’année suivante. On baptise un petit Joseph le 1er décembre 1719. On demande encore du beau monde pour le baptême : il a pour parrain Jacques de L’Hermite, lieutenant du roi. La marraine est Louise Chartier de Lotbinière, épouse du Major Francois Mariauchau Desgly. Et le petit Joseph survit… neuf jours.

Vient ensuite un répit de trois ans pour la jeune mère. Peut-être son époux le baron est-il occupé à sa carrière militaire ? Il ne semble cependant pas qu’il soit un grand héros. En effet, lorsque Philippe de Rigaud de Vaudreuil rédige en 1722 la « Liste des officiers de guerre qui servent en Canada avec observations sur chacun d’eux », il dit du Sieur de Joannès qu’il est « en état de bien servir s’il n’était pas un peu extravagant mais il n’a pas assez de cervelle pour qu’on lui confie un commandement ». Pas tout à fait le portrait d’un militaire idéal !

Françoise met au monde un sixième enfant, Louis Antoine, le 27 juin 1723. Pour le porter sur les fonts baptismaux, il aura Louise Godefroy de Tonnancourt et Michel Fafard de Lonvgal, marchand bourgeois et capitaine de milice, cousin de ses parents. Malgré le prestige de son parrain et sa marraine, il ne vivra lui aussi que huit jours. On peut se demander aujourd’hui quelle est la cause de tous ces décès, quelle maladie frappe ces bébés. On n’en saura jamais rien. Mais, n’oublions pas qu’avec les connaissances médicales de l’époque, Françoise non plus ne savait pas pourquoi la mort frappait ainsi chez elle.

 

Un berceau vide

Françoise est mariée depuis dix ans et le berceau est toujours vide alors que des voisines ont une ribambelle d’enfants. On ne parlait pas d’estime de soi à l’époque, mais on peut imaginer comment elle se sentait, alors qu’elle était incapable de faire ce que les autres femmes réussissaient. Un sentiment d’échec, une douleur morale qui s’ajoutent aux souffrances des « montées de lait » inutiles et des bouleversements dhormones.

Mais l’histoire ne s’arrête pas là. Le 22 août 1724, on baptise un septième bébé. Cette fois, c’est une fille qu’on prénomme Françoise Madeleine. Son parrain est un autre militaire, le major François Desjordy, aussi Chevalier de l’ordre de Saint-Louis. La marraine est Madeleine Forestier, épouse de Jean-Baptiste Poulin dit Courval, procureur du roi à Trois-Rivières.

Enfin ! La famille peut se réjouir lorsque Françoise-Madeleine célèbre son premier anniversaire et que, quelques semaines plus tard, nait un petit frère, le huitième enfant, le 8 septembre 1725. Il est ondoyé à la naissance, mais contre toute attente, il survit et est baptisé François Charles le 22 septembre. Son parrain n’est rien de moins que Charles de Longueuil qui est alors Gouverneur des Trois-Rivières. On ne retrouve pas François Charles dans les registres de décès. Peut-être a-t-il survécu l’enfance ?

Un neuvième enfant le 16 février 1727 sera baptisé Alexis, comme son parrain, le cousin Alexis Fafard de Frandeville. On retrouve lespoir avec cette maisonnée qui comprend alors trois enfants. Mais le bonheur est de courte durée, car, le 27 juillet 1727, on enterre Françoise Madeleine qui avait presque atteint ses trois ans.

Mais c’est reparti pour cette famille, car le 8 mars 1728, Alexis a une petite sœur qu’on baptisera Françoise Louise, une dixième naissance. Et une seconde petite sœur, Marie Anne, verra le jour le 14 décembre 1729, onzième enfant de la famille. Charles a maintenant presque cinq ans, Alexis fêtera bientôt ses trois ans et Louise son deuxième anniversaire.

Le malheur frappe encore. Le 13 avril 1730, Alexis est inhumé à Trois-Rivières et Louise le rejoint le 30 avril. Deux enfants décédés dans le même mois ! … C’est encore plus douloureux de perdre des enfants de deux ou trois ans auxquels on a eu le temps de s’attacher, des bambins qui avaient appris à faire des sourires, à marcher, à dire Maman.

La maison est étrangement vide à nouveau. Il n’y a que François-Charles et peut-être la petite Marie-Anne dont on ne trouve pas de traces dans les registres après son baptême.

Deux ans plus tard, Françoise a atteint 40 ans, mais les maternités se poursuivent. Une douzième naissance le 19 novembre 1732, un petit Jean-Maurice qui décèdera le 21 mai 1733, il n’aura vécu que six mois.

L’année suivante, après vingt ans de mariage, une treizième naissance le 17 novembre 1733, un bébé Pierre qu’on enterrera huit jours plus tard. Son parrain était un autre militaire, le Sieur Le Verrier et la marraine Marguerite Nafrechou, épouse de Gannes.

Un quatorzième enfant verra le jour en 1735, Louis-Joseph. Il semble avoir survécu à l’enfance, car un Louis Joseph Joannès apparait en 1751, au baptême d’une « petite sauvagesse de la nation tête de boules. » Outre son nom qui apparait comme parrain, on constate que la marraine est sa cousine Marguerite Lonval. Louis Joseph aurait donc vécu au moins jusqu’à 14 ans.

Une dernière naissance en 1738, alors que Françoise a 46 ans. Le petit sera baptisé Jacques. C’est tout ce qu’on sait de lui, mais ce baptême vient confirmer la survie de son frère Charles-François (8e bébé), car on trouve sa signature dans le registre. Il a alors 13 ans.

On trouvera aussi un certain Charles-François de Joannes parmi les troupes françaises sur les Plaines d’Abraham. Rien ne confirme hors de tout doute qu’il est bien le fils de Françoise. On ignore aussi ce qui lui arrive par la suite. Est-il mort au combat ? A-t-il accompagné les officiers retournés en France ? On n’en sait rien.

Finalement, Françoise aura donné naissance à 15 enfants dont au moins deux ont survécu à la petite enfance. Mais aucun Joannes nest inscrit dans les registres de mariage recensés dans les bases de données généalogiques. On ne trouvera pas non plus le nom de Joannès à Trois-Rivières au recensement de 1762. Françoise ne sera jamais grand-mère.

Son époux décède à Québec le 29 décembre 1754. Au baptême de son plus jeune, on le disait capitaine et c’est avec le titre de capitaine réformé qu’il est inhumé. Veuve, Françoise passera à travers les temps troublés de la Conquête et décèdera à son tour en 1763, à 71 ans.

Françoise n’a pas échappé à la malédiction de la Genèse « Tu enfanteras dans la douleur ». Elle a subi quinze accouchements, mais aussi éprouvé la douleur de voir mourir onze bébés. Elle n’est pas la seule à avoir perdu des enfants, car au 18e siècle, un enfant sur trois ou sur quatre décédait avant l’âge adulte. Mais la mortalité infantile n’était pas répartie également entre les familles.

Dans la loterie génétique qui transmet des caractéristiques de santé et de résistance aux maladies, Françoise était une perdante. Sans descendance, c’est aussi une laissée pour compte de la généalogie.

Des Françoise comme elle, il y en a eu plusieurs en Nouvelle-France. Des femmes qui n’ont pas eu d’enfants ou qui ont vu leurs petits mourir. Ces Françoise n’ont pas de plaque à leur nom, elles n’existent pas non plus dans nos lignées généalogiques. Elles n’en ont pas moins vécu et souffert dans ce pays, il vaut la peine qu’on ait aussi une petite pensée pour elles qui n’ont pas fait l’Histoire.

 


Quelques références

Amorevieta, Marilyn, 2009, Les niveaux et les facteurs déterminants de la mortalité infantile en Nouvelle-France et au début du Régime Anglais (1621-1779), Thèse de doctorat en démographie, Université de Montréal

Georges de La Tour, The Newborn Christ (c. 1645–1648). Oil on canvas, 76 × 91 cm (29.9 × 35.8 in). Museum of Fine Arts of Rennes, France, Public domain, via Wikimedia Commons,
https://commons.wikimedia.org/wiki/File:Georges_de_La_Tour_-_Newlyborn_infant_-_Mus%C3%A9e_des_Beaux-Arts_de_Rennes.jpg

Gouvernement du Canada, Commission des Champs de bataille nationaux, Plaines dAbraham
https://www.ccbn-nbc.gc.ca/fr/histoire-patrimoine/batailles-1759-1760/details-soldat/?id=13166&page=1&qs=%26patronyme%3DJoann%25C3%25A8s%26surnom%3D%26prenom%3D%26armee%3D%26regiment%3D%26grade%3D%26type%3Dadvanced

Philippe Rigaud de Vaudreuil, Liste des officiers de guerre qui servent en Canada avec observations sur chacun d’eux, 26 octobre 1722, https://nouvelle-france.org/fra/Pages/item.aspx?IdNumber=29813&

PRDH (Base de données du Programme de recherche en démographie historique), Famille no 11560 https://www.prdh-igd.com/fr/Accueil

Registres de Baptême, Mariages et sépultures de la paroisse Immaculée Conception de Trois-Rivières, sur Family Search, https://familysearch.org/ark:/61903/3:1:3QS7-L99S-N6ZP, ou sur Bibliothèque et Archives nationales du Québec https://numerique.banq.qc.ca/patrimoine/details/52327/3956351?docsearchtext=immaculée%20conception

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