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SEMAINE NATIONALE DE LA GÉNÉALOGIE
Du 18 au 25 novembre 2023                             

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Blanche Goulet, ursuline, Mère Sainte-Catherine-de-Sienne

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Jacqueline Gilbert

 

Je me suis intéressée à ma grand-tante, Blanche Goulet, lors d’un atelier offert par BAnQ Montréal intitulé : Généalogie, histoire et société. Le but ultime du cours était d’écrire le fragment biographique d’un ancêtre. Mon enquête s’est amorcée avec le seul souvenir que je possédais, une carte mortuaire. Elle se termine ici avec le récit d’un pan de sa vie professionnelle de religieuse enseignante.

 

Ses origines1

Blanche nait le 15 août 1882, jour de l’Assomption de Marie et de la Fête nationale de l’Acadie. Cette huitième naissance s’annonce comme un heureux présage pour la maman, Malvina Arsenault, une femme forte d’origine acadienne qui a mis au monde quinze enfants en vingt-et-un ans de mariage. Elle a transmis à sa descendance les valeurs puisées au plus profond de ses racines : foi chrétienne, amour de la langue et éducation. Quant au père, François Goulet, ses origines sont percheronnes. Son ancêtre, le meunier Jacques Goulet, est arrivé en Nouvelle-France vers 1646.

La terre familiale s’étend sur plusieurs arpents dans le 1er Rang Ouest du village de Saint-Gervais au cœur des collines fertiles de Bellechasse. François Goulet cultive le blé et l’orge. Il possède des animaux de ferme : chevaux, vaches, veaux et moutons. Les saisons dictent le rythme des travaux et les enfants y contribuent dans la mesure de leurs possibilités. La grande maison traditionnelle québécoise au toit à deux versants est située à proximité du chemin rural. À l’intérieur, dans le petit salon, un piano résonne de musique et de chants après la récitation des prières et des leçons.

 

Sa trajectoire 2

Vers six ans, Blanche est inscrite à l’école du rang. Elle poursuit ses études au couvent du village avant d’entrer à l’école normale en 1898, comme l’avait fait auparavant sa sœur ainée Laura. Les principes d’éducation chez les Ursulines de Québec sont basés sur le développement du potentiel des élèves à tous les niveaux : religieux, culturel, individuel et social. Cette formation exigeante et rigoureuse devait répondre aux aspirations intellectuelles de Blanche car elle a remporté le prix du Prince de Galles pour l’excellence de ses résultats. Sa vie de couventine, l’esprit de famille recréé à l’intérieur des murs et l’exemple offert par les moniales ont sans doute favorisé chez elle l’éclosion de sa vocation.

De plus, le Québec traverse depuis 1840 une période de ferveur religieuse. 3 En 1901, la province compte 10 592 religieuses, soit un peu plus de 2 % de la population féminine active. 4  Entrer en religion est un excellent choix pour une fille de bonne famille. C’est un prestige social assuré et un honneur. La profession englobe tous les aspects de la vie d’une mère au foyer sans les inconvénients des maternités nombreuses. Les religieuses sont nourries, logées, vêtues et soignées sans aucune insécurité. Une vie parfaite de renoncements et d’abnégation pour qui entend l’appel mystique.

En février 1902, Blanche a dix-neuf ans. Elle entre au monastère des Ursulines, une communauté cloitrée, comme postulante. Six mois plus tard, elle entame sa période de noviciat et en juillet 1904, elle fait sa profession religieuse sous le nom de Sainte-Catherine-de-Sienne, son modèle. En plus des trois vœux solennels d’obéissance, de charité et de chasteté, un autre s’ajoute, c’est le vœu d’enseignement. Blanche de Sainte-Catherine voit ses parents pour la dernière fois.

 

Ses lettres d’obédience 5

La mission de Rimouski 6

À cette époque, la région du Bas-Saint-Laurent connait une forte croissance économique et démographique. L’évêque de Rimouski, Mgr Blais, a obtenu du gouvernement provincial l’autorisation d’établir une école normale pour filles dans sa ville épiscopale. En 1905, les Ursulines reçoivent ce mandat, et plus encore, celui d’ériger un pensionnat, un externat et une école annexe (école où enseignent les normaliennes).

Le 27 août 1906, après un voyage de six heures à bord du train de l’Intercolonial Railway, mère Sainte-Catherine et trois autres compagnes arrivent au nouveau monastère pour assister les premières fondatrices dans leur œuvre. La bâtisse est toujours en construction et malgré le manque d’eau courante et d’électricité, la rentrée scolaire a lieu le 14 septembre. Pour les cent onze élèves inscrits, le personnel s’élève à six sœurs professes, trois auxiliaires et deux laïques.

Mère Sainte-Catherine enseigne le français et la littérature. Plus tard, elle deviendra maîtresse de division et de classe, assistante de la supérieure et directrice de l’école normale sous la supervision du principal, le chanoine François-Xavier Ross. Elle verra à la création de différents groupes : le Cercle littéraire Sainte-Angèle, l’Association pédagogique Sainte-Ursule et le Comité du bon parler français. Elle instaurera dans ses cours les nouvelles méthodes préconisées dans le Manuel de pédagogie théorique et pratique, rédigé par le chanoine Ross en 1916.

En 1918, à la fin de la Grande Guerre, l’épidémie de grippe espagnole frappe la communauté et la population entière de la province; un fléau à l’échelle mondiale. Au pensionnat, des fillettes tombent gravement malades. Les religieuses retournent les élèves à la maison. Le monastère vit en état d’alerte jusqu’au printemps de 1919.

 

La mission de Gaspé 7

Le chanoine Ross, nommé premier évêque du diocèse de Gaspé en 1922, rêve de doter sa région d’infrastructures essentielles à son développement économique, culturel, social et touristique. Le 4 août 1923, il adresse une requête à la supérieure des Ursulines de Rimouski. En deux mots, il la prie de lui donner mère Sainte-Catherine pour fonder et administrer le monastère qu’il veut édifier à Gaspé.8  Blanche Goulet n’a pas encore quarante ans.

Après avoir obtenu l’autorisation du Saint-Siège de voyager de Rimouski à Gaspé, mère Sainte-Catherine et son assistante, mère Sainte-Angèle, quittent le quai de la Pointe-au-Père le 9 août à bord du vapeur Gaspésia de la Clarke Steamship Company. Les religieuses ne pouvant se déplacer seules, elles sont accompagnées de Mgr Ross et de son secrétaire. L’expédition dure deux jours. C’est tout un paysage qui défile devant leurs yeux : les paroisses disséminées le long de la côte, le fleuve qui devient la mer et les montagnes en arrière-plan. Et enfin Gaspé, nouvelle terre d’adoption.

Ce premier périple vise à repérer le terrain idéal pour établir le couvent, l’école normale et l’institut familial. Elles le dénicheront aux flancs de la colline Albert qui domine le village. Mgr Ross qui les guide verra à l’achat et aux transactions financières.

Le second voyage a lieu le 9 juillet 1924. Cette fois, trois religieuses (les mères Sainte-Catherine, Sainte-Angèle et Saint-Laurent) partent de Rimouski en train, escortées de deux abbés. Arrivées en gare de Gaspé, elles doivent traverser la rivière York dans une barque à moteur pour atteindre l’autre rive. La voiture de monseigneur les conduit à l’évêché; un règlement provisoire les autorise exceptionnellement à y résider. En septembre, trois compagnes de Rimouski viennent les rejoindre. Les travaux de construction étant toujours en cours, les fondatrices sont hébergées à l’hôtel Baker, mis à leur disposition par le propriétaire. Elles y établissent leur logement, une salle de prière et une école rudimentaire.

Enfin, l’inauguration du couvent a lieu le 30 août 1925. La cérémonie se déroule selon un rituel sacré et l’on baptise la cloche de la chapelle des noms de François-Xavier et Sainte-Catherine-de-Sienne. Au début du mois de septembre, les religieuses enseignantes accueillent une soixantaine d’élèves comme dans une grande famille. La supérieure professe les cours de littérature et d’histoire du Canada. L’eau et l’électricité manquent souvent.

 

Le jubilé d’argent, 15-16 juillet 19299

Les vingt-cinq années de profession religieuses de mère Sainte-Catherine sont une occasion pour la communauté de lui témoigner toute la reconnaissance et l’affection qu’elle mérite. Cette célébration d’hommages à la fois rituelle, solennelle et profane est inscrite aux annales du couvent sur dix-huit pages. Fait rarissime, le droit de parole fut accordé durant les repas du midi et du soir. Même Noël ou Pâques se fêtent dans le silence.

 

La crise économique

La construction de la route du littoral, le boulevard Perron, s’est terminée au cours de l’été 1929. La région, économiquement pauvre, faisait face à de nombreux problèmes : les pêcheurs de morue subsistaient de peine et de misère, exploités par les riches propriétaires anglais; les terres de roches étaient impropres à la culture; la production agricole était insuffisante pour couvrir les besoins familiaux et l’état des chemins ne favorisait pas le développement des mines et du tourisme. 10 Cette boucle de 885 kilomètres sort la Gaspésie de son isolement.

Au cours de ces dures années de chômage et de misère, les paroissiens frappent régulièrement à la porte du monastère pour obtenir de la nourriture ou des vêtements. Mère Sainte-Catherine demande à ses sœurs cuisinières de donner les surplus aux familles pauvres. Au plan budgétaire, la situation des Ursulines est précaire. Le nombre d’inscriptions baisse, mais les obligations financières demeurent : prêt hypothécaire, chauffage, électricité, téléphone, salaires des ouvriers. Les produits du grand potager, du poulailler et du verger assurent une maigre subsistance. L’argent se fait de plus en plus rare. On échange des biens contre des services. Il faut bien vivre, survivre.

 

Le dernier voyage

Le 17 février 1936, Blanche de Sainte-Catherine meurt à cinquante-quatre ans d’une affection cardiaque qui minait sa santé depuis longtemps. Dans les derniers jours de sa vie, elle brodait encore une enjolivure sur une étole. Dans son acte d’offrande au Sacré-Cœur, elle écrit : « Travailler jusqu’au bout de ses forces et disparaître. » 11

Une ancienne élève de Rimouski, Lilianne Lafolley, témoignera ainsi sa sympathie :

« Les anciennes normaliennes de Rimouski se souviennent toujours de leur mère directrice qui savait à la fois les faire trembler et se faire adorer! Autant elle avait d’entraînantes gaietés, d’esprit primesautier, de verve malicieuse en récréation, autant elle était brillante pédagogue à ses heures de cours, autant elle était minutieuse et austère dans l’observance des règles de la discipline! » 12

Les communautés religieuses s’effacent peu à peu de notre monde sécularisé. Le couvent de Gaspé est démoli dans les années 1980, leur cimetière délocalisé. Cependant, la mémoire de mère Sainte-Catherine perdure dans l’Accueil Blanche-Goulet, un organisme voué à l’aide aux démunis fondé à Gaspé en 1991 et qui perpétue ses valeurs de respect, charité et partage.

Blanche de Sainte-Catherine a connu une trajectoire professionnelle ascendante grâce à ses parents qui lui ont légué un capital économique et scolaire important. Elle a gravi les échelons. Elle a voyagé plus loin que la majorité de ses consoeurs. Les récits de ses réalisations sont élogieux. Et pourtant, malgré une autonomie dans la gestion de son monastère, la supérieure était sous l’autorité d’hommes d’Église.

Au fil de mes lectures, au détour d’une phrase, entre deux lignes et trois chapitres, j’ai découvert une âme humaine plurielle sous le costume austère et le voile noir. Une femme de parole et de silence; d’humilité et d’ambition. Une nature sévère et joyeuse; contemplative et lumineuse.
 


1. Archives familiales

2. DANYLEWYCZ, Marta. Profession : religieuse, un choix pour les Québécoises 1840-1920, Les éditions du Boréal, Montréal, 1988, 246 pages.

LAURIN, Nicole, JUTEAU, Danielle, DUCHESNE, Lorraine. À la recherche d’un monde oublié, les communautés religieuses de femmes au Québec de 1900 à 1970, Le Jour Éditeur, 1991, 424 pages.

JUTEAU, Danielle et LAURIN, Nicole. Un métier et une vocation. Le travail des religieuses au Québec de 1901 à 1971, Collection trajectoires sociales, Les Presses de l’Université de Montréal, 1997, 194 pages.

INVENTAIRE du patrimoine religieux immatériel du Québec. L’éducation chez les Ursulines. Récit de pratique culturelle. Source : Sœur Suzanne Prince, o.s.u. http://www.ipir.ulaval.ca/fiche.php?id=294.

3. BÉDARD, Éric. 1840, le Québec se découvre une immense ferveur religieuse. Radio-Canada, Aujourd’hui l’histoire, 25 septembre 2017. https://ici.radio-canada.ca/ohdio/premiere/emissions/aujourd-hui-l-histoire/segments/entrevue/39798/religion-bourget-temperance-ferveur-catholicisme.

4. À la recherche d’un monde oublié, op.cit., p.170, 171, 181.

5. Lettre d’un supérieur permettant à une religieuse de se déplacer, notamment pour aller enseigner (Dictionnaire Antidote)

6. À Rimouski, il était un monastère…, op.cit., 543 pages.

7. CARON, Thérèse, o.s.u. Sous l’aile de l’aigle, un monastère est né…, Éditions Fides, 1996, 358 pages.

8. À Rimouski, il était un monastère…, op.cit., p.107.

9. Archives des annales du monastère de Rimouski, Pôle culturel du Monastère des Ursulines.

10. BÉLANGER, Jules. Les causeries du musée de la Gaspésie : Mgr François-Xavier Ross (1896-1945), libérateur de la Gaspésie, 2013. https://www.youtube.com/watch?v=JmswcMX9S1U

11. Sous l’aile de l’aigle, op.cit. p.74.

12. Sous l’aile de l’aigle, op.cit., p.210

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