Écrire l'histoire de votre famille - À vos plumes !

SEMAINE NATIONALE DE LA GÉNÉALOGIE
Du 18 au 25 novembre 2023                             

Janneton, fille de Pierre Guillet dit Lajeunesse

Janneton, fille de Pierre Guillet dit Lajeunesse

Denise Gravel, GRA

Société généalogique canadienne-française

 

Le présent texte vise à présenter le parcours de vie de mon ancêtre Jeanne dite Janneton, épouse de Mathieu Rouillard. Née le 3 et baptisée le 17 novembre 1652 à Trois-Rivières, Jeanne est la troisième enfant et la seconde fille de Pierre Guillet dit Lajeunesse et de Jeanne Saint-Père.

 

Son premier mariage avec Mathieu Rouillard

Le 26 juin 1667, dans la maison de Pierre Guillet dit Lajeunesse, Mathieu Rouillard et Janneton Guillet se présentent devant le notaire Jacques de Latouche pour passer un contrat de mariage1. Mathieu est originaire de La Rochelle, fils de feu Guillaume et de défunte Jeanne Cardinauld. Il est âgé d'environ 27 ans alors que Janneton n'a que 14 ans. Le futur a doué la future épouse selon la coutume de Paris. Mathieu Rouillard est déjà connu de la famille Guillet. En effet, il avait fait en cas de mort, don de tous ses biens2 à Pierre Guillet devant le même notaire de Latouche en août de l'année précédente, sans que la raison d'un tel don ne soit mentionnée.

Le 3 avril 1668, Pierre Guillet se présente devant le juge Quentin Moral, sieur de Saint-Quentin, pour demander que le contrat de mariage3. de sa fille avec Mathieu Rouillard soit cassé et annulé. Il mentionne que « ladite fille Jeanne Guillet n'ayant aucune amytié ni bienveillance sinon de l'adversion contre le dit Rouillard et que le mariage estant libre, on ne peut forcer les partyes à le contracter ». Mathieu accepte à la condition d’être dédommagé. On apprend toutefois que Mathieu avait affirmé avoir des biens en France et que le sieur Simon Baston, marchand, lui aurait promis de lui avancer ce qui lui serait nécessaire pour s'établir. Comme cette promesse n’a pas été tenue alors qu’elle constituait le fondement dudit traité de mariage, le juge Quentin Moral casse et annule le contrat et déboute Mathieu de toutes ses prétentions au sujet du remboursement de ses frais.

Entre le 14 avril et le 19 mai 1668, Mathieu fait appel de la sentence rendue par le sieur de Saint-Quentin et présente plusieurs requêtes4 devant la Juridiction de Trois-Rivières afin de pouvoir épouser la fille de Pierre Guillet faute de quoi ce dernier devra le dédommager. Il demande que Jeanne soit assignée à comparaître. Pierre Guillet présente la déclaration de sa fille passée devant le sieur de Latouche, notaire seigneurial du Cap-de-la-Madeleine, et affirme que le différend entre lui et ledit Rouillard a été réglé par le sieur de Saint-Quentin.

C'est finalement le 2 juin 1668 que Pierre Guillet déclare être prêt à satisfaire pour sa part au mariage de sa fille si Mathieu Rouillard veut satisfaire de son côté aux clauses portées dans le contrat et à sa promesse verbale. Pour régler le différend, ils sont renvoyés devant deux ou trois de leurs amis et ils devront se représenter en cas de discorde. Le mariage religieux a probablement eu lieu après cette date, il est introuvable, et leur contrat de mariage a été rétabli puisque c'est le seul contrat mentionné dans l'inventaire au décès de Mathieu Rouillard.

Au recensement5 de 1681, la famille, composée de quatre enfants entre 2 et 9 ans, réside à Batiscan. Entre 1672 et 1694, Jeanne donne naissance à huit enfants6, cinq garçons et trois filles. Seule Louise ne se rendra pas à l'âge adulte, elle décède à 4 ans. Trois des fils épousent des filles du notaire François Trottain.

 

Mathieu Rouillard, voyageur

Mathieu considère que le commerce des fourrures est plus rentable que le travail de la terre. Comme il a de nombreuses dettes, il délaisse sa famille pour aller faire la traite des fourrures. À partir de l'année 1681, 25 permis de traite pour le commerce des fourrures sont attribués à des marchands ou des officiers militaires; chaque permis donnant droit à trois voyageurs de partir en forêt. Le 22 mai 1683, François Hazeur, marchand de Québec passe un accord7 avec Mathieu Rouillard, Pierre Trottier et Étienne Papillon, pour exploiter un congé aux Outaouais. Le 5 juillet 1688, Mathieu Rouillard et Jean Froment s'engagent en qualité de voyageurs8 à François de Laforest, capitaine dans les troupes de la Marine.

Le roi décide d'abolir9 les 25 congés le 21 mai 1696 et défend d'aller faire la traite aux Outaouais, sous peine des galères. Mathieu se rend alors au Fort de la Boulay, au Mississippi, à l'établissement de monsieur d'Iberville qui encourageait les coureurs des bois à lui apporter leurs peaux. C'est à cet endroit qu'il décède en août 1702. Ce n'est que le 4 février 1704 qu'a lieu l'inventaire après décès10 des biens de Jeanne Guillet et de feu Mathieu Rouillard, devant le notaire François Trottain, le beau-père de trois des fils de Mathieu et de Jeanne.

 

Son second mariage avec François Fafard

Le 23 juin 1711, devant le même notaire François Trottain, Jeanne Guillet, maintenant âgée de 58 ans, signe un contrat de mariage11 avec François Fafard, 81 ans, veuf de Marie Richard et de Marie Madeleine Lefrançois. Les futurs époux seront un et commun en tout bien meubles et immeubles selon la coutume de Paris à compter du jour de leurs épousailles. Alors que l'inventaire de Jeanne a déjà eu lieu, celui de François devra être fait avant le jour du mariage. La moitié des biens de chacun entrera dans la communauté et l'autre moitié demeurera propre à chacun. Le futur époux a doué la future épouse de 1500 livres de douaires préfix et le survivant prendra pour son préciput les biens meubles de la dite future communauté pour la somme de 500 livres hors part et sans crue. Marie Jeanne et Madeleine Rouillard, filles de Jeanne, seront nourries et entretenues dans la maison des futurs époux jusqu'à ce qu'elles soient pourvues par mariage. Jeanne signe son contrat de mariage alors que François ne semble pas savoir signer.

François Fafard12 décède le 25 décembre 1711 et est inhumé le 26. Son acte de sépulture n’indique pas qu’il est l’époux de Jeanne Guillet. Leur acte de mariage religieux n'a pas été retrouvé et il n'y a pas d'inventaire après décès au nom de François Fafard. Jeanne a probablement changé d'idée et fait annuler le contrat de mariage, ne voulant pas prendre soin d'un homme âgé, possiblement déjà malade puisqu'il décède six mois après la date prévue du mariage.

 

L’ultime combat de Jeanne

Si Jeanne Guillet avait épousé François Fafard en 1711, selon les clauses de son contrat de mariage, le montant de son douaire préfix ainsi que le préciput accordé au survivant l'auraient mise à l'abri du besoin. Cependant, entre 1713 et 1714, Jeanne dépose plusieurs requêtes et plaintes13 contre ses enfants pour que ces derniers soient condamnés à lui payer une pension durant sa vieillesse « tant pour sa santé que pour la maladie et son entretien » ou de lui permettre de vendre la terre qu'elle possède à Batiscan.

Il est décidé que la terre sera adjugée au plus offrant lors d'une criée à la porte de l'église de Batiscan. Ses enfants sont alors condamnés à donner une pension à leur mère puisque le bail à ferme de la terre et habitation ne suffit pas à la nourrir et à l'entretenir pour ses derniers jours, « étant âgée et entièrement infirme ». Il est ordonné que Jeanne vivra des revenus de la terre de Batiscan mais que ses enfants lui payeront une pension de 100 livres par année jusqu'à son décès pour un montant de 14 livres, 5 sols et 8 deniers chacun, à partir du 1er août 1714. À cette époque, elle habite chez sa sœur Anne, veuve de Jean Moreau.

Jeanne, assistée de maître François Trottain, intente une poursuite contre Jacques Massicotte, habitant de Batiscan, pour contester la vente et criée de la terre que ses enfants ont mise à l'enchère pour payer son entretien et sa pension, alors qu'elle était malade. Elle prétend que cette terre a été cédée à un prix trop modique; Jeanne est déboutée de sa demande et le défendeur maintient la possession et la jouissance de la terre pour 5 années en payant 18 minots et 6 mesures de blé pour le prix du bail à ferme. Jacques Rouillard dit Saint-Cyr, à qui Jeanne a fait donation de la terre, entreprend alors, au nom de sa mère, de poursuivre Jacques Massicotte14 pour la récupérer, disant qu’elle en vaut le double.

Le 28 janvier 1715, Pierre Lhermé, huissier, au nom de Jeanne Guillet, poursuit le même Jacques Rouillard dit Saint-Cyr, pour que ledit Rouillard lui rende un lit de plume, un traversin, deux couvertes, un coffre, une marmite, un poêle et autres ustensiles qui appartiennent à sa mère. Son fils répond qu'il est prêt à lui remettre les meubles et ustensiles mais qu'elle doit lui donner quittance de la somme de 52 livres et 10 sols pour 2 mois et 10 jours de nourriture et fournitures qu'il lui a faites; il est condamné à remettre les meubles et ustensiles, tout en pouvant se pourvoir contre sa mère pour la somme due, en plus de payer les frais. Il semblerait que Jeanne soit allée s'installer chez son fils Jacques et sa bru Geneviève Trottain pendant 2 mois mais qu'ils n'aient pas été en mesure de s’entendre.

 

Conclusion

Le 18 novembre 1723, Jeanne15 décède à l'âge de 71 ans et est inhumée à Batiscan. Sa sépulture est inscrite sous le nom de « la bonne femme Rouillard ». Mariée dès l'âge de 15 ans avec Mathieu Rouillard, elle devient veuve à 50 ans, avec la charge de 4 enfants encore mineurs. Âgée de 58 ans, elle signe un second contrat de mariage avec le veuf François Fafard mais ne l'épouse pas. Elle s'est battue pour ses droits devant les instances juridiques, même contre ses enfants, afin qu'ils lui accordent une pension lui permettant de subsister pendant sa vieillesse. Jeanne Guillet était une femme de caractère qui ne s'en laissait pas imposer.

 


1. BAnQ, registre du notaire Jacques de Latouche. Contrat de mariage de Mathieu Rouillard avec Jeanne Guillet. 26 juin 1667.

2. BAnQ, registre du notaire Jacques de Latouche. Donation en cas de mort de biens meubles, d'une terre à Saint-Éloy et d'une terre située à Batiscan. 6 août 1666.

3. BAnQ, registre du notaire Jacques de Latouche. Résiliation du contrat de mariage entre Mathieu Rouillard et Jeanne Guillet. 3 avril 1668.

4. BAnQ, Juridiction des Trois-Rivières. Requêtes de Mathieu Rouillard à l’encontre de Pierre Guillet dit Lajeunesse. 14 avril 1668, 12 mai 1668, 19 mai 1668, 2 juin 1668.

5. RPQA, fiche no 97361, recensement de 1681, Batiscan.

6. RPQA, fiche no 2236, famille de Mathieu Rouillard et de Jeanne Guillet.

7. BAnQ, registre du notaire Claude Maugue. Accord entre François Hazeur, marchand de Québec, et Mathieu Rouillard, Pierre Trottier et Étienne Papillon. 22 mai 1683.

8. BAnQ, registre du notaire Antoine Adhémar. Engagement en qualité de voyageur de Mathieu Rouillard et Jean Froment. 5 juillet 1688.

9. BNF, ANOM. Notices de documents conservés dans diverses séries du fonds du secrétariat d’État à la Marine et aux Colonies. Déclaration du roi qui supprime les 25 congés accordés pour la traite du castor. https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/btv1b10105426p

10. BAnQ, registre du notaire François Trottain. Inventaire des biens de Jeanne Guillet, veuve de Mathurin (sic Mathieu) Rouillard, de Batiscan, et tutrice de ses enfants, Simon, Jacques, Mathieu, Joseph, Damien, Jeanne et Madeleine. 4 février 1704.

11. BAnQ, registre du notaire François Trottain. Contrat de mariage de François Fafard avec Jeanne Guillet. 23 juin 1711.

12. Généalogie Québec, registre de Batiscan. Sépulture de François Fafard. 26 décembre 1711.

13. BAnQ, Juridiction des Trois-Rivières. Requêtes de Jeanne Guillet, veuve de feu Mathieu Rouillard. 10 juillet 1713, 12 mars 1714, 11 juin 1714, 18 juin 1714, 19 novembre 1714, 28 janvier 1715.

14. BAnQ, Collections Pièces juridiques et notariales. Procès entre Jacques Massicot et Jacques Rouillard. 1er avril 1714 au 14 novembre 1716.

15. Généalogie Québec, registre de Batiscan. Sépulture de Jeanne Guillet, « la bonne femme Rouillard ». 18 novembre 1723.

Retour à la liste des nouvelles

Les textes publiés sont sous la seule responsabilité de leur auteur.

 

Les textes en lice

La promesse

Guy Veer et Denis Labrecque

L'oncle des « États »

Jacques Cotnoir

_