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SEMAINE NATIONALE DE LA GÉNÉALOGIE
Du 18 au 25 novembre 2023                             

De Liverpool, Angleterre, à Québec - L’histoire de Martha Holmes, ma grand-mère paternelle

Monument dédié aux enfants anglais immigrés au Canada entre 1869 et mi ‘40 At Pier 21, Halifax, Nouvelle-Écosse

De Liverpool, Angleterre, à Québec
L’histoire de Martha Holmes, ma grand-mère paternelle

Par Joanne Loiselle

Société de généalogie de Québec

 

Prologue

Trouver ses parents biologiques lorsqu’on est adoptée est une chose… En apprendre plus sur sa grand-mère anglaise en est une autre…

En novembre 2017, je reçois enfin mes résultats de test ADN Ancestry. Comme adoptée, je n’ai jamais vraiment cherché mes parents biologiques, mais ma meilleure amie m’a offert pour mon anniversaire « Ze Test ». J’allais enfin pouvoir obtenir des noms de ces inconnus membres de Ma famille.

C’était bien avant la Loi 113 qui nous permet aujourd’hui d’obtenir, pour les plus chanceux d’entre nous, le nom de nos parents biologiques tels qu’ils apparaissent dans notre dossier d’adoption et, le plus souvent, celui de la mère. Et je passe ici les technicalités de cette Loi…

Une fois, le test complété, je regarde les résultats obtenus et je suis perplexe, car la majorité de mes correspondances sont des gens du Québec ou des États-Unis mais pour une partie de celles-ci, ces personnes viennent d’Angleterre !

Je faisais partie de ces personnes qui avaient toujours su ou pensé qu’elle avait du sang d’Irlandais. Rousse, yeux bleus, teint clair, taches de rousseur au visage. Et voilà que je m’approche de cette Irlande toute en verdure… Mais ça, ça fera partie d’une chronique voyage un jour peut-être…

En mai 2020, les Services sociaux me communiquent le nom de ma mère biologique, décédée en décembre 2019… Trop tard pour la connaître, mais pandémie oblige assez chanceuse pour pouvoir assister à sa mise en terre, en septembre 2020.

Je pouvais maintenant regrouper mes correspondances maternelles et concentrer mes recherches du côté paternel.

 

Oui, oui j’y arrive : ma grand-mère paternelle…

Marthas Holmes, ma grand-mère, enceinte d'Herbé, Joseph Larochelle, mon grand-père, John derrière, Wilfrid et Loretta - 1931
Marthas Holmes, ma grand-mère, enceinte d'Herbé, Joseph Larochelle, mon grand-père, John derrière, Wilfrid et Loretta - 1931

Restait toutes ces correspondances anglaises. J’échangeais avec ces gens depuis un moment déjà et parallèlement, je développais des arbres généalogiques. Personne ne connaissait une tante, un oncle, un cousin, une cousine, etc., qui avait traversé l’Atlantique pour venir en Amérique et d’où j’avais hérité de ces gènes. Il en fallait au moins un ou une…

Puis un jour de 2020, avec l’aide d’un collègue de talent, Clément Drolet, de Carrefour ADN, il insère comme ça dans une des banques de données le nom d’une de mes correspondances avec ces noms de famille anglais : et hop ! Martha Holmes apparaît. Il trouve qu’elle s’est mariée avec un Larochelle, qu’elle a eu 4 enfants et que parmi ceux-ci se trouve mon père biologique…

Cette hypothèse s’est confirmée en trouvant 2 demi-frères, dont un qui fait le test ADN. J’avais bien quelques gouttes de ce sang anglais et irlandais qui coulait dans mes veines. Et là il me raconte ce qu’il sait de l’histoire de notre grand-mère.

 

Une vie de misère…

L’Angleterre, son pays natal : 1897-1913

Martha est née en septembre 1897, à Liverpool. Elle est la benjamine d’une fratrie de 11 enfants. Bien que sa mère soit décédée en 1914 et son père en 1922, c’est dès 1905, qu’elle est confiée à la St. Anne’s Industrial School for Roman Catholic Girls. Il s’agit d’un orphelinat. Martha a 8 ans.

Les filles placées dans cet établissement n’étaient pas toutes orphelines. On la retrouve dans cette institution dans le Recensement de 1911, elle a 13 ans. On peut présumer la pauvreté de la famille, car obligée de placer leur plus jeune.

Elle apprend les travaux domestiques (couture, cuisine, entretien ménager, etc.).

Elle y restera jusqu’à son départ pour le Canada en mai 1913.

D’après la correspondance que j’ai fait venir d’Angleterre, la sœur supérieure, Emma Pitre, de l’institution St. Anne’s, confirme que Martha sera envoyée au Canada et plus précisément au Québec, dans la Ville de Québec comme servante.

 

Sa nouvelle vie au Québec : 1913-1986

Herbé, Martha Holmes, John, Loretta et Wilfrid Larochelle, années '40

C’est alors que le 31 mai 1913, elle embarque sur le SS Corsican, à Liverpool en direction de la Ville de Québec. Martha a 15 ans. Elle fait partie d’un contingent de 48 garçons et 62 filles se dirigeant vers une nouvelle vie. Vous vous imaginez : traverser l’Atlantique sur ce bateau tout juste un an après la tristement célèbre traversée du Titanic (naufrage en avril 1912). Neuf jours en mer après avoir quitté sa famille, son pays pour une nouvelle vie… Sans savoir si elle les reverra un jour !

Je n’ai rien trouvé sur la traversée elle-même. Toutefois, le SS Corsican arrive sans encombre, au port de Québec, à 10h35, le matin du 10 juin 1913. Martha débarque à Québec et est prise en charge par la famille d’Arthur Charles Sailey Gagnon, époux de Marie Joséphine Bonneville où elle sera employée comme domestique. D’ailleurs, c’est M. Gagnon qui paie pour les frais d’immigration, soit 9 livres et 10 shillings (environ 45 livres aujourd’hui, soit près de 80$). Il doit aussi fournir un minimum de vêtement.

À la lecture des documents, j’apprends qu’elle ne travaillera pas pour cette famille, mais bien pour le gendre d’Arthur Gagnon : François Alphonse de Beaulieu Gourdeau, époux de Germaine Marie Ernestine Gagnon, la fille d’Arthur. Le couple s’étant marié plus tôt le 8 avril 1913. Fait à noter, la mère de François Alphonse est Monica Sharples1, née à Québec dans le quartier Montcalm : quartier huppé de la Ville de Québec. De là probablement, l’habitude d’avoir des domestiques à leur service.

Entre son arrivée en 1913 chez les Gourdeau et son mariage avec Joseph Larochelle, en avril 1921, Martha s’est occupée de 6 des 8 enfants de la famille Gourdeau. Tout ça entre l’âge de 15 et 23 ans.

Encore aujourd’hui, je cherche toujours comment elle a fait pour connaître mon grand-père, natif et travaillant à la mine de Thetford Mines. Pas souvent de journée en congé, un nombre élevé d’enfants à s’occuper, probablement pas trop payée. Comment avait-elle pu rencontrer Joseph... de Thetford Mines, de surcroit ? Je finirai bien par trouver un jour…

Martha Holmes - 1897-1986 - Cimetière Saint-Alphonse, Thetford Mines

Martha et Joseph auront eu quatre enfants : John, Loretta, Wilfrid et Herbé. Si on regarde les naissances de ses enfants, Joseph travaillait soit au Québec, soit à Bryant’s Pond, dans le Maine. D’autres durs bout de vie ! Ça ne devait pas être facile de quitter le Québec ayant déjà un enfant en bas âge avec l’espoir de travailler et de gagner plus, ailleurs.

Mais comme un malheur n’arrive jamais seul, Martha a été de nouveau confrontée à une autre dure épreuve : au travail Joseph reçoit un crochet sur la tête. Finalement, on l’amène à l’hôpital. Peu de guérison possible. Il finit ses jours, à Québec, à l’Asile des aliénés Saint-Michel-Archange où il décèdera à l’âge de 46 ans et 3 mois. Laissant Martha veuve avec 4 enfants et sans le sou !

D’après mon demi-frère qui lui a eu la chance de connaître Martha, elle ne riait jamais, a toujours été pauvre, très pauvre. Elle a quand même pu élever ses quatre enfants malgré toutes ses misères. Elle ne s’est toutefois pas livrée à ses petits-enfants et ne leur a pas raconté toute son histoire qu’elle a emportée avec elle.

 

De Liverpool à Québec…

Martha fait partie des 118 000 enfants qui ont été séparés de leur famille et qui ont été envoyés au Canada par la Grande-Bretagne, entre les années 1869 et 19482. Seulement 12% de ces enfants étaient orphelins. Les faire venir au Canada ou dans les autres colonies de la Grande-Bretagne n’était qu’une piètre solution, dissimulée sous le voile d’une intention altruiste. Cet exil devait répondre aux besoins de main-d’œuvre bon marché dans un pays en pleine croissance qu’était le Canada à cette époque.

On estime que 10% des Canadiens qui vivent ici aujourd’hui ne seraient pas là sans la venue de ces ancêtres, comme ma grand-mère. Avec leur endurance et leur détermination, ils ont su se construire de nouvelles vies à partir d’une perte inimaginable.

Depuis 2012, Home Children Canada (HCC)3, anciennement connue sous le nom de British Home Children Advocacy & Research Association (BHCARA), travaille sans relâche pour sensibiliser les Canadiens à ce chapitre peu connu de notre histoire.

C’est pourquoi le 28 septembre de chaque année, on souligne le National British Home Child Day partout au Canada, et ce depuis 2017. Environ 4 millions de Canadiens descendent directement d’une de ces personnes immigrées.

 

Épilogue

J’aurais tant aimé connaître Martha. Quand je la regarde, je crois que je lui ressemble. Comme adoptée, on se sent souvent à part des autres, on a du mal à s’identifier à notre famille adoptive. Lorsque finalement, on reçoit des photos de notre famille biologique, on se compare et on se trouve des airs de famille. Là s’arrête la comparaison, car jamais je ne pourrai m’imaginer avoir été mise sur un bateau, dans le froid d’avril, à l’âge de 15 ans vers un pays étranger où je ne saurais pas ce qui m’arriverait.

C’est l’histoire de ma grand-mère Martha où sa mère à elle aussi était venue d’Irlande pour épouser mon arrière-grand-père anglais et rêver ainsi d’une vie meilleure. C’est aussi celle de tous ceux d’entre nous qui avons des aïeuls anglais venus ici la plupart du temps contre leur volonté.

Pour ceux et celles qui ont des ancêtres anglais, irlandais ou écossais venus au Québec, en Ontario ou ailleurs au Canada dans le cadre du programme d’enfants immigrants de Grande-Bretagne et qui veulent entreprendre des démarches, vous pouvez visiter cette page Facebook : Home Children Canada Research Group.

J’ose croire en terminant qu’avec cette courte vie racontée en si peu de mots, j’aurai rendu justice à TA vie grand-maman Martha et à celle de tes descendants, dont moi. Je suis tellement reconnaissante.

Je t’aime,

Joanne


1. La famille Sharples est connue à Québec. Une rue porte même ce nom : https://www.ville.quebec.qc.ca/citoyens/patrimoine/toponymie/fiche.aspx?IdFiche=3400

2Little known chapter of Canadian history gaining more recognition, Kelly Cunningham, September 28, 2023, Espanola

3Home Children Canada (HCC), https://www.britishhomechildren.com

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