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SEMAINE NATIONALE DE LA GÉNÉALOGIE
Du 18 au 25 novembre 2023                             

Elle s’appelait Maria...

Maria vers 1925 avec Auréa, ma grand-mère, Jean-Paul et Lucien dans ses bras

Elle s’appelait Maria...

Vicki Onufriu

Société de généalogie et d'histoire de Saint-Eustache

 

Elle s’appelait Maria... Mon aïeule mystérieuse, intrigante. Je la tiens pour une femme courageuse, et résiliente... son parcours n’est pas si différent de celui de beaucoup d’autres femmes, mais cela n’enlève rien à sa valeur. Je vous en fais le récit ici, et vous pourrez en juger.

 

Maria, née Guillemette, est la fille d’Oscar, menuisier, et Joséphine Jobin. Ceux-ci s’étaient mariés en 1886 à Saint-Félicien, au Lac-Saint-Jean1. Maria est née le 28 juin 1894 dans la même paroisse. Elle est la sixième d’une famille de quatorze enfants.

Dans l’ordre naissent Ernest, un fils adoptif (1882), Malvina (1887), Charles (1888), Louis (1890, décédé à trois jours), Alexandre (1893), Maria (1894), Élianne (1896), Bernadette (1898), Arthur (1900, décédé à quatorze jours), Anna (1901, décédée à six mois), Marie-Alma (1903), Edmond (1904, décédé à quatre ans), Félicien (1905) et Rollande (1908, décédée à huit jours)2.

Maria est la mère de la mère de ma mère; en somme, mon arrière-grand-mère en lignée matrilinéaire directe.

Je ne connais rien de son enfance. Mais j’ai un lien profond avec elle, sans vraiment la connaître.

Par exemple, je ne sais pas pourquoi elle se marie sur l’île de Montréal. Peut-être que toute la famille est venue y chercher du travail, et de meilleures conditions de vie? Ce ne serait pas étonnant, après les décès de cinq de leurs enfants. Alors que la famille est inscrite dans le district de Saint-Félicien au recensement de 19013, la famille Guillemette est absente des registres d’état civil de Saint-Félicien après les deux décès des enfants en 1908. On la retrouve au recensement de La Tuque en 19114. Elle et les siens se rapprochent de Montréal.

Ainsi, le 22 juillet 1913, à l’âge de 19 ans, Maria épouse Alfred Ducharme, mon arrière-grand-père, à la paroisse de la Nativité d’Hochelaga de Montréal. Dans l’acte du mariage, le curé écrit « Maria Isabelle Guilmet de cette paroisse, fille mineure de Oscar Guilmette, menuisier, et de Joséphine Jobin, de cette paroisse »5. Ainsi, il semble que la famille ait redéménagé rapidement à Montréal l’année précédente, après la tenue du recensement.

Le marié, Alfred Ducharme, était le fils de Léandre, décédé en 1900, et de Délima Grégoire. Le couple s’était marié le 17 janvier 1881 à Saint-Ambroise-de-Kildare6. Je n’ai jamais pu trouver l’acte de baptême d’Alfred, mais au recensement de 1911, on le dit âgé de 25 ans, menuisier en construction et pensionnaire dans le district de Maisonneuve, sur l’île de Montréal7. D’autres sources comme le recensement de 1901 et des arbres généalogiques de membres d’Ancestry situent sa naissance le 16 septembre 1887, sans spécifier le lieu8. Je sais qu’il est le plus jeune d’une fratrie de quatre garçons. Ses trois frères aînés sont Simon Hildège, Emery et Donat9. D’autres enfants sont nés après lui, mais ils n’ont pas survécu plus de quelques jours ou quelques mois.

Dans l’acte de mariage de 1913, on dit toutefois d’Alfred qu’il est mécanicien. Et sa mère réside dorénavant à Saint-Cyrille de Normandin, au Lac-Saint-Jean10

Peut-être que le fait que Maria soit originaire de cette région les a-t-il rapprochés ?  Nul ne le sait.

Au cours des années suivantes, Maria et Alfred vont s’établir à Saint-Ambroise-de-Kildare, puis à Rawdon. Les naissances se succèdent régulièrement au sein du couple. Fernande naît en 1914, Yolande en 1915, Raymond en 1917, Romain en 1918, Auréa ma grand-mère en 1919, Jean-Paul en 1920, Lucien en 1923, Lionel en 1924 (décédé à 2 mois) et Réjeanne en 192711.

Alfred était-il beau garçon ? Je ne sais pas à quoi il ressemblait, je n’ai aucune photo de lui. Pourtant j’ai plusieurs photographies de Maria et de leurs enfants. Comme Maria était brune aux yeux bruns, mais que deux de leurs filles, Yolande et Réjeanne, semblaient plutôt blondes aux yeux clairs, je me plais à imaginer qu’elles tiennent ces caractéristiques de leur père.

À la veille de la Grande Dépression, une tragédie s’abat sur la famille. La nuit du 21 au 22 octobre 1929, un incendie ravage le logement de Maria et d’Alfred à Rawdon. Je cite un article de La Presse qui a paru le lendemain: « Vers minuit, M. Cloutier, propriétaire de l’hôtel Cloutier, fut réveillé par une vive lueur qui illuminait la fenêtre de sa chambre. Il se leva aussitôt et vit que la maison habitée par M. Alfred Ducharme, en face de l’hôtel, était en flammes ainsi que celle où se trouvaient les bureaux de la Gatineau Power Co. et le logement de M. Rochette. Il donna l’alarme et alla réveiller M. Ducharme. Celui-ci, avec le concours de ses voisins, réussit à sauver quatre de ses enfants, mais lorsqu’on voulut se porter au secours des trois autres, Fernande, âgée de 15 ans, Jean-Paul, âgé de 8 ans, et Lucien, âgé de 6 ans, les flammes repoussèrent les sauveteurs. Les trois enfants ont péri dans l’incendie. On vit la jeune Fernande essayer d’ouvrir une fenêtre, mais elle tomba à la renverse et disparut dans le brasier. La violence des flammes rendit vaines toutes les tentatives faites pour sauver les victimes »12. Dans un autre article du Devoir, il est mentionné qu’« un magasin tenu par la mère des trois victimes fut également rasé de fond en comble »13.

Une coupure s’est faite à ce moment; je ne sais pas ce qui est advenu par la suite, de quelle manière Maria a fait le deuil de ses enfants, de sa maison et de son magasin, qui était une mercerie. Grand-Maman Auréa, qui avait 10 ans à l’époque, a toujours refusé de nous parler de cette époque de sa vie. Nous essayons d’en reconstituer les bribes. Grâce au recensement de 1931, je sais que Maria a rebâti son commerce14. Elle est marchande d’une épicerie avec coupons, qu’elle tient avec sa sœur Marie-Alma, selon les témoignages oraux de ma famille.

Mais sa famille est restée brisée par cette tragédie. Nous savons que, plus tard au cours de la décennie, Maria et Alfred ne font plus vie commune. Il serait reparti seul à Montréal. Selon ma famille, il aurait travaillé pour le chemin de fer, peut-être au Massachusetts. Mais je n’en sais pas davantage, et je n’ai trouvé aucune trace qui corrobore cette affirmation.

Lorsque ma grand-mère Auréa s’est mariée en 1942, elle avait déjà coupé tout contact avec lui. Il est décédé seul en 1948, et a été inhumé au Cimetière de l’Est pendant une période de 10 ans. Puis, sa dépouille a été déplacée dans la fosse commune du cimetière15.

Avec le temps, Maria a fini par retrouver le bonheur. Dans les années 1950, elle rencontre un gentil monsieur dénommé Albert Chaussé, natif de la Nouvelle-Angleterre et de dix ans son aîné. Ils se marient et s’établissent à Rawdon. Maman et ses frères et sœurs l’ont toujours appelé Grand-Papa Chaussé; les liens du sang n’avaient pas d’importance. C’était lui le vrai grand-père toujours présent. Leur couple était fusionnel... Quand Maria est décédée en avril 1963 d’un cancer, Albert ne l’a pas supporté, et s’est éteint lui aussi trois jours plus tard. Ils sont inhumés ensemble à Rawdon16.

Mes aïeux étaient des nomades qui s’unissaient ensemble. Pour partir ailleurs, chercher une meilleure vie ? Les parents de Maria étaient de Baie-Saint-Paul et de Québec, ils se sont établis au Lac-Saint-Jean où ils se sont rencontrés. Plus tard, ils sont venus à La Tuque, puis Montréal et retournés au Lac-Saint-Jean où ils sont inhumés. Puis après leur mariage, Maria et Alfred sont allés vivre à Rawdon. Ma grand-mère Auréa est retournée vivre au Lac-Saint-Jean avant d’épouser son mari Armand. Et leur fille, ma mère, une fois adulte, est repartie à Montréal, où elle a rencontré mon père, un Grec originaire de Turquie, arrivé au Canada en 1968.

Pour différentes raisons, ils ont tous déménagé, changé de région, et changé de vie. Je les trouve résilients de pouvoir tout quitter, d’accepter la perte de ce qu’ils connaissaient et d’aller ailleurs découvrir ce qu’il y a de nouveau.

Et moi, je me sens si sédentaire. Je me sens en sécurité là où je vis. J’ai le plus grand sentiment d’appartenance envers ma maison et ma ville. Je garde mes objets précieux, comme cette collection de boutons que j’ai héritée de mon arrière-grand-mère Maria, la mercière. À travers les gens, les objets et le patrimoine, je retrouve le sens du passé, et je m’assure qu’il ne disparaisse pas.

À travers les générations, il semble que le gène du nomadisme se soit perdu... J’en suis heureuse, mais je reconnais mes racines et je suis fière des parcours de vie de ma famille. Ce sont leurs voyages et leurs pérégrinations qui m’ont faite telle que je suis.

 


1. Registre de l’état civil de Saint-Félicien, BAnQ numérique, 9 novembre 1886, folio 15v, lien BAnQ : <https://numerique.banq.qc.ca/patrimoine/details/52327/3987883>.

2. Ibid., 22 octobre 1887, folio 13v (Malvina),  12 novembre 1888, folio 15r  (Charles), 31 janvier 1890, folio 3r et 5 février 1890, folio 4r (Louis), 24 juin 1893, folio 11r (Alexandre), 29 juin 1894, folio 10r (Maria), 23 décembre 1896, folio 25r  (Élianne), 20 décembre 1898, folio 23v  (Bernadette), 31 janvier 1900, folio 4v et 12 février 1900, folio 5v (Arthur), 27 mai 1901, folio 13r et 3 décembre 1901, folio 25r (Anna), 2 mars 1903, folio 6r (Marie Alma), 30 mars 1904, folio 9r et 8 mai 1908, folio 13v (Edmond), 23 avril 1905, folio 11r (Félicien), 16 août 1908, folio 25v et  (Rollande), lien BAnQ : <https://numerique.banq.qc.ca/patrimoine/details/52327/3987883>  ;  1882 (Ernest, fils adoptif), recensement 1901, district 149 Lac-St-Jean, sous-district Y, subdivision 53, Saint-Félicien, folio 9, lien recensement <http://central.bac-lac.gc.ca/.redirect?app=census&id=37847747&lang=fra>.

3. Fiche de la famille Guillemette, Recensement 1901, district 149 Lac-St-Jean, sous-district Y, subdivision 53, Saint-Félicien, folio 9, lien du recensement <http://central.bac-lac.gc.ca/.redirect?app=census&id=37847747&lang=fra>.

4. Fiche de la famille Guillemette, Recensement 1911, district 151  Champlain, sous-district No. 6, district du recenseur 1 : La Tuque Falls, folio 24, lien du recensement :  < http://central.bac-lac.gc.ca/.redirect?app=census&id=16166774&lang=fra>.

5. Acte de mariage de Maria Isabelle Guilmet et Alfred Ducharme, Registre d’état civil, paroisse de la Nativité-de-la-Sainte-Vierge de Montréal, BAnQ numérique, 22 juillet 1913, folio 251v, lien BAnQ : <https://numerique.banq.qc.ca/patrimoine/details/52327/3898068?docref=55NmE4JKlVWvh4moqt9qUA>.

6. Acte de mariage de Léandre Ducharme et Délima Grégoire, Registre de l’état civil de Saint-Ambroise-de-Kildare, BAnQ numérique, 17 janvier 1881, folio 2v, lien BAnQ : <https://numerique.banq.qc.ca/patrimoine/details/52327/4458423?docref=bD5p3bwZJPAnmiKVabzQPg>. 

7. Fiche  d’[Alfred Ducharme], Recensement de 1911, district 172  Maisonneuve, sous-district No. 6, district du recenseur  7 Suite B ?, Maisonneuve, folio 24, lien du recensement : < https://recherche-collection-search.bac-lac.gc.ca/fra/accueil/notice?app=census&IdNumber=17013489>.

8. Fiche de la famille Ducharme, Recensement de 1901, district no 158 de Joliette, sous-district C, no 25, paroisse de Saint-Ambroise-de-Kildare, p. 8, lien du recensement  < http://central.bac-lac.gc.ca/.redirect?app=census&id=37676410&lang=fra>   (recherche faite pour trouver Donat Ducharme).

9. Ibid.

10. Acte de mariage de Maria Isabelle Guilmet et Alfred Ducharme, op. cit.

11. Dates de baptêmes des enfants Ducharme-Guillemette, source Ancestry : 30 avril 1914 à la paroisse du Très-St-Rédempteur, Montréal, folio 20v (Fernande), 4 août 1915  à la paroisse de La Nativité-de-la-Bienheureuse-Vierge-Marie, folio 71v (Yolande), 19 janvier 1917 à La Nativité-de-la-Bienheureuse-Vierge-Marie, folio 6r (Raymond), 11 septembre 1918 à Saint-Cyrille de Normandin, Lac-Saint-Jean, folio 30r (Romain), 1er novembre 1919 à Saint-Ambroise-de-Kildare, folio 21r (Auréa), 8 octobre 1920, à Saint-Ambroise-de-Kildare, folio 22r (Jean-Paul), 9 janvier 1923 à la paroisse Saint-Patrice-de-Rawdon, folio 1v (Lucien), 2 avril 1924, folio 5v et 20 juin 1924, folio 10r à la paroisse Saint-Patrice-de-Rawdon et 13 octobre 1927 à la paroisse Saint-Patrice-de-Rawdon, folio 15v (Réjeanne).

12. « Une terrible tragédie se déroule à Rawdon et cause la plus vive consternation », dans La Presse, 22 octobre 1929, p. 3, lien de l’article : <https://collections.banq.qc.ca/ark:/52327/2973326>.

13. « Trois enfants périssent dans un incendie », dans Le Devoir, 23 octobre 1929, p. 8, lien de l’article <https://numerique.banq.qc.ca/patrimoine/details/52327/2788301>.

14. Fiche de la famille Ducharme, Recensement de 1931, district de  L’Assomption-Montcalm  no 50, sous-district no 50, Rawdon (village), p. 12, lien du recensement  < https://recherche-collection-search.bac-lac.gc.ca/fra/Recensement/Indice1931?DataSource=Genealogy%7CCensus1931&ProvinceCode=QC&DistrictCode=2079&SubDistrictCode=50757&>.

15. Échange par téléphone avec un employé du Cimetière Le repos Saint-François d'Assise, 2004.

16. Copie de la carte mortuaire de Maria Guillemette et d’Albert Chaussé, collection privée.

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